mercredi 22 avril 2015

Génération Y comme upsilon : le latin et le grec contre tous les clichés

Cet article a été posté par Eunostos.



Cela ressemble au début du sketch de Raymond Devos sur le dernier soupir : 
« Allô Raymond, comment ça va ? 
– Très bien, pourquoi ? 
– Ça ne fait rien, on attendra ! » 
Les détracteurs des langues anciennes, eux, n’ont jamais eu la patience d’attendre : ils expliquent à tout le monde que le latin et le grec sont enterrés, simplement parce que, dans leur grande maturité, ils ne supportent pas que la réalité ne se conforme pas à leurs désirs. Finalement, fatigués de répéter à un demi-million d’élèves latinistes et hellénistes que plus personne ne veut faire de latin et de grec, ils veulent nous enterrer tout vifs.

Mais il y a plus : à qui est assez faible pour les croire, ils peignent un ragoûtant portrait du latiniste en zombie, ou plus précisément en vieux réactionnaire, ce qui n’est pas beaucoup mieux.

C’est à se demander qui a du mal à s’adapter à la réalité actuelle : nous ou eux. Car les profs de latin et de grec, en France, en 2015, ne sont pas ce que le Ministère se plaît à faire croire.

Latin et grec : cette alliance qui s’ignorait rebelle


 Je fais partie de ces enseignants-chercheurs en langues anciennes pas tout à fait trentenaires qui ont toujours connu le latin et le grec sous la forme d’options menacées. Les cours de latin toujours placés à 8h ou en toute fin de journée, j’ai connu. Les cours de grec ancien le mercredi midi, donnés par une prof qui donnait gratuitement l'une de nos heures hebdomadaires afin qu’on ait notre volume horaire complet pour préparer la spécialité grec ancien au Bac, j’ai connu aussi. Rien de tout ça ne nous a démontés. Les petits collégiens qui se sont entêtés et qui ont traversé toute leur scolarité malgré les flèches des clichés et les goulets des réductions d’horaires, c’est nous. Même qu’on serait prêts à le refaire.

D’ailleurs, sur le moment, ça n’avait pas l’air si héroïque. Il suffisait d’écouter un minimum en cours.

En échange, nous avons appris peu à peu à nous orienter parmi le dédale des mots d’un texte et à traduire ce texte en reconnaissant, à partir des terminaisons des mots, quelle était leur fonction grammaticale dans une phrase. Nous en avons tiré une capacité d’attention aux mots plus grande, et une meilleure maîtrise de l’articulation entre les mots et les idées, puisque nous passions notre temps à chercher comment rendre telle construction typiquement latine ou grecque par telle autre qui passait mieux en français sans trahir le sens du texte original.

Et puis il y avait la civilisation, bien sûr, l’histoire, la vie quotidienne, les mythes. Les deux allaient de pair, la langue et la culture. Quand j’ai pu lire et écrire mes premiers mots en latin, je me suis pris pour un sorcier (et je ne connaissais pas encore Harry Potter). Que dire quand nous avons appris ce mystérieux autre alphabet surgi du fond des âges, l’alphabet grec, et que nous avons commencé à lire des phrases où nous rencontrions quotidiennement Zeus et son keraunos (foudre), les theoi (dieux) et les anthropoi (humains), le Minotauros et beaucoup d’autres ? Pour croire ces enseignements « pas assez ludiques », il faut vraiment ne rien en connaître.

Les détracteurs de ces options les présentent comme réservées aux « héritiers » dont parle Bourdieu. Ils voudraient vous faire croire que ces options ne sont pas accessibles à tous, alors qu’elles le sont, et qu’ils vont les rendre accessibles à plus de monde, alors que leur réforme va provoquer la fermeture de ces options partout sauf dans les établissements privilégiés. Alors certes, il y a des choses à réformer pour améliorer la situation actuelle. Mais cette réforme-là prépare le contraire de ce qu'elle prétend. Se piquer de sociologie au service d’une réforme réactionnaire, la belle affaire ! Quand on prétend remédier aux pannes de l’ascenseur social, on ne le remplace pas par un mur d’escalade. 
La vérité est que ces options ont bel et bien profité aussi à des élèves issus de milieux non favorisés. J’ai commencé en ZEP et je n’étais pas le seul. Ni moi ni beaucoup de mes camarades n’avions de gros bagage culturel en matière d’humanités. Nous avons tout découvert petit à petit. La culture dite classique, la culture dite populaire et les blagues potaches cohabitaient sans complexe dans nos conversations. L’Antiquité, pour nous, c’était autant Les Pilleurs de sarcophages d’Odile Weulersse que la troisième déclinaison, c’était autant Ulysse 31 que l’Odyssée, autant Jason et les Argonautes que le Gaffiot abrégé, autant les Ages of Empires ou Age of Mythology que les guerres puniques, autant les dialogues d’Astérix et Cléopâtre que Tu quoque, mi fili.


Culture hybride, innovation pédagogique, diffusion des dernières découvertes, humanités numériques : la (vraie) vie des profs de Lettres classiques


Cette génération des apprenants de l’extrême, ces geeks de l’Antiquité prêts, au grand dam des « pédagogues », à retarder un peu l’heure du goûter pour s’escrimer sur la conjugaison du parfait ou réviser les attributs des dieux de l’Olympe, s’est transformée désormais en une nouvelle génération de professeurs de Lettres classiques qui œuvre depuis quelques années dans les collèges et les lycées de tout le pays, voire prépare des thèses et cherche des postes dans les universités. Cette génération est bien différente des précédentes, encore tout imprégnées de la scolarité d’après-guerre. Elle n’a pas appris les langues anciennes de la même façon, et ne les enseigne pas de la même façon. Comme chaque nouvelle génération d’enseignants, elle sait innover.

Cette génération-ci est placée sous le signe d’une hybridation des cultures typique de la société française du début du XXIe siècle. Enjointe au sexy et au cool par le feu roulant de propos discriminatoires, elle s’est mise en quatre pour renouveler l’enseignement des Lettres classiques. Elle navigue aisément de l’analyse d’une étymologie ou d'un passage d'un auteur grec ou latin à celle d’un extrait de péplum ou d’une planche d’Astérix, de Murena ou des Chroniques de l’Antiquité galactique.
Ces professeurs, à l’état d’élèves ou d’étudiants, ont connu le renouveau du péplum avec Gladiator, puis la série Rome, les Percy Jackson, 300 et le Choc des titans, bref, le nouveau déferlement de la mythologie américanisée, et ils savent à quel point il est indispensable de pouvoir l’analyser. Ils ont aussi connu des élèves de plus en plus déroutés devant leur propre langue en cours de français, et savent à quel point la pratique des langues anciennes peut les aider.

Au fait des derniers développements de la recherche française, européenne et mondiale, les profs de Lettres classiques actuels peuvent projeter aux élèves, en classe, des extraits de films, mais aussi des pièces de théâtre de Plaute dans les mises en scène contemporaines, ou les entretiens de Jean-Pierre Vernant sur les mythes grecs, voire des morceaux de musique antique reconstitués par l’ensemble Kérylos, sans parler des docu-fictions français ou britanniques du type Le Destin de Rome ou Le Dernier Jour de Pompéi.
 À l’écoute des dernières découvertes archéologiques et des dernières avancées de l’anthropologie historique, ils peuvent rappeler que les temples et les statues des Grecs étaient peints de couleurs vives (alors que tant de films s’évertuent encore à les garder tout blancs) ; ils peuvent expliquer que les Gaulois n’avaient pas d’ailes sur leurs casques, mangeaient plus d’animaux d’élevage que de sanglier et formaient une mosaïque complexe de peuplades autonomes bien plutôt que « la France avant la France ».
 Au besoin, ils donnent aussi un coup de main pour décortiquer l’émission du dernier ingénu qui pense avoir retrouvé l’Atlantide ou pour descendre en flammes ces ésotéristes et ces gourous dont les conférences, prétendument philanthropes, font en réalité du rabattage pour le compte de telle ou telle secte (vous savez, ces sectes aux noms trompeusement scientifiques mal bricolés à partir de racines grecques…).

Élevée à l’informatique, cette génération s’est longuement escrimée sur les polices grecques et a vécu l’arrivée de l’Unicode. Pour ses recherches et la préparation de ses cours, elle dispose d’innombrables sites Web et de bases de données en ligne (Itinera Electronica, la Perseus Digital Library, le LIMC pour les images, le Thesaurus Linguae Graecae, le portail Persée pour les revues, sans compter les sites des musées comme le Louvre). Pour préparer leurs cours, ces enseignants peuvent compter sur des logiciels libres comme Collatinus intégrant des dictionnaires en ligne.
Pour intéresser les élèves, ils expérimentent, alternant la grammaire, la civilisation et la mythologie, croisant littérature, histoire, histoire des arts et archéologie, insufflant ici du ludique, là un peu de latin parlé, ailleurs un projet d’arts plastiques : l’interdisciplinarité, ils la connaissent depuis belle lurette. À l’occasion, ils contribuent en bénévoles à Wikipédia (voyez le groupement de portails sur le monde antique) ou postent sur Wikimedia Commons des photos librement diffusables d’œuvres antiques en haute définition (allez voir les vases grecs, par exemple).

Imaginer une prétendue guerre entre le Gaffiot et l’iPad, comme le fait un article récent de L'Obs en opposant Régis Debray à Najat Vallaud-Belkacem, c’est ignorer que le Gaffiot et tous les dictionnaires de langues anciennes circulaient en version numérique bien avant la sortie de l’iPad. De tels préjugés ne tiennent pas longtemps face à la réalité de la recherche dans ce domaine qu’on appelle les humanités numériques, qui est en plein essor et dont les professeurs du secondaire profitent aussi.
Faut-il rappeler que le Thesaurus Linguae Graecae, cette incroyable base de données qui rassemble sous forme numérique l'ensemble de la littérature grecque antique, a été commercialisé en CD-Rom dès 1985 et que c’était à l’époque le premier CD à stocker autre chose que de la musique (il se trouve désormais entièrement en ligne) ?
En France, pour les professeurs de collège, faut-il rappeler au Ministère l’existence de sites comme Weblettres, ou même son propre site Eduscol, qui propose notamment des ressources pour les langues anciennes ? 
De qui se moque-t-on avec ces clichés ridicules ? Nous avons déjà des outils numériques, nous ne demandons qu’à en avoir davantage : qu’on nous en donne donc, des Gaffiot sur iPad, mais d’abord, qu’on nous laisse déjà des volumes horaires décents pour assurer nos cours !

Devant vos yeux ébahis, Collatinus, un logiciel gratuit d'aide à la traduction latine qui peut identifier un mot sur un simple clic avec son dictionnaire de latin intégré. Il faut quand même des humains pour traduire le texte (ça, même Google Traduction ne sait pas faire).

Des mensonges multipliés avec une frénésie panique


Heureux d’avoir franchi avec succès toutes les épreuves jusqu’à présent, très (trop ?) imprégnés de cette philosophie antique qui valorise la recherche de la sagesse plutôt que celle de la richesse ou de la renommée et qui méprise l’orgueil et la démesure, ces profs de Lettres classiques nouvelle génération sont indécrottablement pleins d’énergie et avides de diffuser autour d’eux ce savoir acquis de haute lutte.
Chaque année, ils se battent pour obtenir la reconduction de leur volume horaire, parfois face à des chefs d’établissement qui louvoient avec la loi en n’attribuant pas les heures prévues par le Ministère (qui ferme les yeux).
Chaque année, ils vont présenter les options de langues anciennes aux élèves de 6e et de 4e, démontent les clichés auprès des enfants et des parents, ou, pire, de principaux ou d’inspecteurs si pétris de préjugés qu’ils n’ont pas le centième de la curiosité d’un élève de 6e.

Se retrouver aux prises avec leur propre ministère, au fond, n’est qu’une épreuve de plus. Elle n’en est pas moins scandaleuse. Aussi aberrant que cela paraisse, la Ministre et les gens chargés de promouvoir cette réforme fondent leur communication sur un déni complet de la réalité si patent qu’on finirait par en être gêné pour eux, si ce n’était pas à eux d’en avoir honte.

Quand on a étudié la rhétorique antique, on décortique sans mal la rhétorique ministérielle. Celle-ci ne brille pas par son caractère constructif, mais par sa violence. Mensonges patents, calomnies à peine voilées, mépris et cynisme n’ont rien à envier aux tactiques mises en œuvre dans le privé contre les employés trop remuants. 
Rappelons aux communicants, à la Ministre et aux journalistes que les déclarations faites sur les plateaux télévisés ou même en réponse aux questions posées à l’Assemblée n’ont pas valeur de loi : c’est sur les projets d’arrêtés, sur les volumes horaires, sur les budgets et sur les programmes que cette réforme doit être évaluée. 
Or, en dépit des déclarations d’intentions, les moyens ne sont pas là, les programmes ont été supprimés, les options sont extrêmement fragilisées (en langues anciennes comme en langues vivantes, étrangères ou régionales) et, dès qu’on prend un peu de recul, c’est l’étude de l’Antiquité à tous les niveaux qui est mise en danger.

Aucune rhétorique ne peut maquiller cela face à une lecture attentive des textes. Tout ce que ces prétendus réformateurs peuvent tenter de faire et qu’ils s’emploient à faire avec une frénésie panique, c’est brouiller les pistes en multipliant les annonces contradictoires et encourager la population à se complaire dans les préjugés anti-intellectualistes au lieu de regarder ce qu’on s’apprête à lui enlever.

Mais si les concepteurs de cette réforme pensaient réellement que tous les amoureux de l’Antiquité étaient de vieux croulants réactionnaires, ou qu’ils pourraient faire gober ça aux gens en dépit de la réalité du terrain partout dans le pays, ils vont au-devant d’énormes désillusions. Les enseignants de Lettres classiques du XXIe siècle, quant à eux, ont encore de beaux jours devant eux, merci. Mais avant tout un combat à mener, ici et maintenant. 

Mais on aime bien les vieux érudits aussi (tant qu'ils ne sont pas maléfiques).

Quelques liens pour s'informer et pour agir


Le site "Avenir latin grec", lancé par deux professeurs de Lettres classiques, propose une analyse de la réforme qui explique les inquiétudes des enseignants. Le site rassemble aussi une revue de presse et une revue de Web très complètes, qui incluent aussi les analyses, articles et tribunes des deux camps (aussi bien les opposants que les partisans de la réforme) : idéal pour s'informer, donc.

Le site de l'association Arrête ton char contient de nombreuses ressources, dont un dossier récapitulatif sur l'enseignement du latin et du grec dans la réforme (qui reprend chronologiquement et analyse les projets d'arrêtés, les programmes et les déclarations variées émanant du Ministère). Il propose aussi une infographie "Avant/Après la réforme" pour comprendre ce qui changerait. Si ça vous donne l'impression que la réforme est une usine à gaz illisible, vous risquez d'avoir raison, mais il faut s'y coltiner pour comprendre ce qui va et ce qui ne va pas.

Deux pétitions de soutien aux langues anciennes (chacune dépassant actuellement les 35 000 signatures) :

lundi 16 juin 2014

Le Retour de l'Article Tapé à la Machine

J'ai beau être considérée comme vieille par certains de mes étudiants (c'est un des avantages et des inconvénients du fait de passer du Bon Côté du Bureau), je n'ai jamais connu les machines à écrire. 

Quand j'ai eu quatorze ou quinze ans, mes grand-parents maternels m'ont offert mon premier ordinateur portable, un PC pesant trois tonnes, que j'ai chéri et conservé jusqu'à mon année de M1, lorsque j'ai été obligée de mettre une bouteille d'eau pleine derrière l'écran pour qu'il reste ouvert. C'est là où je suis passée au Mac, jusqu'au Caius Plinius Secundus que j'ai maintenant.

J'ai donc toujours eu l'habitude de lire des textes tapés sur ordinateur, y compris dans les ouvrages que j'ai eu à écluser aux divers stades de mes études. Il y a quelques années, je suis tombée sur une thèse reliée entièrement tapée à la machine, avec des trous pour ajouter à la main les mots grecs. C'était fort divertissant, sachant que cet ouvrage est ensuite devenu un grand classique et que j'avais donc très probablement entre les mains sa toute première version, avant une diffusion éditoriale. C'est un des avantages (et des inconvénients) de la bibliothèque d'Ulm : on déniche parfois des exemplaires assez improbables.

Mais là, avec ce supplément à une revue de 1995, sincèrement, je ne m'y attendais pas, d'autant que la plupart des articles étaient tapés à l'ordinateur. Je me suis toutefois assez vite rendue compte que la typo était peu cohérente, voire complètement anarchique : des polices différentes, des tailles différentes, des espacements différents. Hmm.

Et soudain : surprise ! des articles tapés à la machine. Avec les mots latins soulignés à l'ancienne, parfois à la main. Celui que je devais lire était même un must du genre : à la machine, non justifié (nécessairement) et... avec des indications manuelles sur les changements typographiques à apporter avant l'impression finale.

Clairement, l'auteur considérait cette version comme plus ou moins un brouillon à améliorer formellement et comptait sur les éditeurs pour effectuer les modifications. Sauf que ceux-ci 1) avaient manifestement l'intention de relier tels quels les articles qu'on leur avait envoyés ; 2) n'ont encore plus manifestement pas eu le temps de faire un quelconque travail d'édition. À cela, j'ajouterais que je les soupçonne de ne pas avoir eu non plus celui de jeter un coup d'oeil auxdits articles, sans quoi les indications typographiques ne leur auraient pas échappé.

En bref, un article qui, au-delà de son contenu, en dit aussi beaucoup sur la façon dont l'ensemble de l'ouvrage a vu le jour.

(Mémento des signes de correction ; photo par Kzer ; source : Wikipedia Commons)

lundi 9 juin 2014

Attendre

S'il y a bien un truc que je déteste, c'est attendre que d'autres que moi fassent quelque chose. Dans une queue de trois kilomètres, je peux éventuellement réussir à prendre mon mal en patience, mais envoyer un mail et attendre une réponse, assez rapidement, je trouve ça insupportable.

En ce moment, entre autres, comme beaucoup de doctorants, j'attends un signe éventuel pour un contrat d'ATER l'an prochain.

Le système d'attribution des postes est assez opaque, du moins dans ma discipline. À part la publication des appels à candidature sur Altaïr (et encore : certaines facs ne s'en donnent pas la peine, dont toutes les facs parisiennes), rien n'est public. Qu'on ne sache pas quand est la réunion de classement et quel en est le résultat avant qu'il soit validé par les divers conseils me paraît assez normal : ça fait partie de la tambouille interne de l'université et il serait gênant que des informations circulent avant que les choses soient définitivement fixées.

Par contre, après, je regrette franchement l'absence de publication des classements. Seuls les heureux élus sont contactés ; les autres attendent indéfiniment. L'année dernière, quelques universités m'avaient renvoyé une des enveloppes timbrées demandées dans le dossier, pour m'informer de mon classement ou non. Je n'ai pas reçu beaucoup de ces missives, mais c'était déjà quelque chose : je savais si j'avais des chances dans l'absolu, en cas d'épidémie de peste bubonique ou en aucun cas du tout.

Cette année, un nombre plus grand d'universités est passé par une application électronique, ce qui est vraiment TRÈS BIEN (je ferai un de ces quatre un bilan matériel de ma campagne d'ATER). Les autres ont aussi majoritairement arrêté de demander une enveloppe timbrée (une seule l'exigeait). Mais, du coup, je n'ai absolument aucune idée de si mon dossier a été retenu et, si oui, dans quelle position. Dans d'autres disciplines, les classements sont diffusés sur le net plus ou moins officieusement ; dans la mienne, non.

Alors j'attends.

L'année dernière, j'avais été contactée si tôt que je n'avais même pas eu le temps de commencer à stresser (j'aurais dû, vu les problèmes que j'ai eus ensuite avec le Rectorat). Cette année, j'ai tenu un jour. Le lendemain, j'ai envoyé des mails pour savoir ce qu'il en était dans Fac n°1 (celle où je fais ma thèse) et Fac n°2 (celle où je suis ATER cette année).

Il est tôt, rien n'est évidemment encore définitif et j'ai une fâcheuse tendance à toujours m'attendre au pire, mais il me faut quand même bien dire que ça ne sent pas très bon.

Fac n°1 m'a classée deuxième ou troisième, je n'arrive pas à comprendre exactement, pour cause d'informations contradictoires, et Chef n'était pas à la réunion. Si je suis troisième, c'est foutu : j'imagine fort mal une université accepter trois ATER de latin/grec, même si elle en avait besoin. Si je suis deuxième, c'est possible, mais ça se saura tard et ça a l'air mal engagé.

Fac n°2 a recruté quelqu'un pour reprendre le poste de la personne, partie à la retraite, que je remplaçais cette année. Ce nouveau prof étant, pour un an encore, à l'Institut universitaire de France, il bénéficie d'un horaire de cours réduit, avec un financement pour engager quelqu'un qui fasse les heures restantes. Il y en a plus que pour un 1/2 ATER, moins que pour un ATER complet. Toute la question est de savoir si ces crédits peuvent, précisément, passer sur la ligne budgétaire ATER et/ou si Fac n°2 a l'intention de le faire. Et Chef n'avait pas l'air très optimiste là-dessus non plus.

Bref, la situation est l'inverse de l'année dernière. L'année dernière, j'avais un poste d'ATER et j'ai dû suer sang et eau pour avoir mon détachement. Cette année, j'ai mon détachement en poche et pas de poste d'ATER.

Si je croyais à la pensée magique, je me mordrais presque les doigts de m'être mise en règle avec le Rectorat.

mercredi 14 mai 2014

Vive la somatisation

Dans les premiers jours de mai, j'avais fini avec joie mon chapitre 5 (sur 8). Il me restait à vérifier des points bibliographiques, le relire pour améliorer la formulation et écrire une conclusion digne de ce nom, mais quand même : pluie de coeurs, dance de la victoire. Je dois rendre en septembre, j'ai encore quatre mois devant moi, trois chapitres à rédiger : si j'arrive à en faire un par mois, à moi le mois d'août à relire en suffoquant dans la fournaise d'un insupportable été parisien.

Le chapitre suivant, le 6 donc, le dernier de ma deuxième partie, porte sur le portrait général des empereurs, étudiés un à un. Une sorte de récapitulation de points déjà traités avant, sous un autre angle, et une prise de hauteur vis-à-vis des forces s'exerçant sur le texte.

J'ai donc ouvert mon cahier de thèse, j'ai écrit Tibère, j'ai fait un beau cercle tout autour et j'ai commencé mon associogramme. Des idées sur Tibère, j'en ai plein. À la pelle. Mais, ce jour-là, j'avais l'impression que tout ce que je faisais était forcé, peu original et vraiment, vraiment pas satisfaisant. J'avais l'impression qu'il me manquait quelque chose. J'étais dans un train, je me suis dit que les conditions n'étaient pas optimales et que ça irait mieux lorsque j'aurai sous les yeux ma biblio, histoire de me remettre en tête les différents points de vue. Cette partie de ma bibliographie, je l'ai lue il y a assez longtemps maintenant et j'en suis à un point où j'ai l'impression que tout se mêle un peu dans un joyeux fouillis : je sais que cette idée n'est pas de moi, mais je galère à trouver dans quel ouvrage j'ai bien pu la pêcher, nom d'un publicain mal embouché.

(Tête de thésarde ne trouvant pas l'article qu'elle cherchait ; photo par Peter M. ; source : FlickR)


Une fois rentrée chez moi, je me suis précipité sur la biblio, j'ai associé des références à mon associogramme, j'ai fait un plan. Puis je me suis lancée dans mon brouillon. Je le trouvais assez rapide, mais ça pouvait encore aller et j'étais contente d'être enfin prête à entamer ce chapitre. Il faut savoir que je suis un vieux diesel, en ce qui concerne la rédaction : si je ne suis pas tout de suite hyper concentrée, je mets une bonne demi-heure à chauffer ; si je n'ai pas fermé Firefox, c'est encore pire. Mais une fois que je suis lancée, c'est bon.

J'ouvre donc un nouveau fichier, j'ajuste les paramètres que j'ai oublié de prendre en compte lorsque j'ai créé mon modèle (je me serais jetée dans un lac avec un poids aux pieds quand j'ai découvert que mes notes de bas de page étaient en interligne 1,5), j'ai jeté sur le papier quelques idées d'introduction et c'est parti.

L'intro était courte, mais, finalement, je n'avais pas grand chose à dire, à part : "Nous allons maintenant passer au portrait général de chaque empereur". Par contre, j'ai commencé à vraiment galérer au moment d'attaquer la première sous-partie : Tibère. J'avais beau avoir mon plan et mon brouillon sous les yeux, je n'étais pas satisfaite : j'ai changé l'ordre des éléments deux mille fois, je ne citais que des articles scientifiques et pas des extraits de mon corpus, quand j'en cherchais je perdais un temps précieux, etc. Le soir, j'avais un mal de crâne léger, mais certain, qui m'a poursuivie et épuisée les deux jours suivants.

Au bout de trois jours de ce traitement-là, j'ai fini par m'agacer : les cours sont finis à Fac n°2, donc je devrais profiter à fond du temps que j'ai devant moi pour avancer et voilà que je ne fous pas grand chose, à force de réécrire, refaire des associogrammes, voire un nouveau brouillon, et ne pas y arriver plus qu'avant.

(Un aperçu de l'intérieur de mon cerveau ; source : Wikipedia)


J'avais de moins en moins l'impression de maîtriser mon sujet (après cinq chapitres et avant les trois derniers, c'était un comble), ce qui fait que j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et de relire systématiquement toutes mes notes sur les articles et ouvrages que j'avais consultés sur le sujet. Et c'est LÀ que je me suis rappelé quelque chose que j'avais laissé de côté il y a au moins un an et demi, en me disant que je le finirais plus tard.

Quand j'ai commencé ma thèse, je me suis mise, entre autres, à relire attentivement les oeuvres de mon corpus, en me concentrant sur les passages parallèles entre les deux auteurs. J'ai ainsi obtenu une liste par empereur, que je me suis mise à analyser point par point : recopiage des passages, commentaire, recopiage des passages, commentaire, etc. Ensuite j'ai fait mon plan et je me suis rendue compte que ce travail me servirait pour des chapitres du milieu de ma thèse : je me suis donc dit que j'allais le mettre de côté et me concentrer sur la préparation du matériel pour les premiers chapitres (mes relevés d'occurrences, par exemple).

Ouais.

Sauf qu'évidemment, ce truc m'est complètement sorti de l'esprit (et ce alors que je l'ai partiellement repris pour mon chapitre 4, qui porte sur les scènes-type) et je me retrouve maintenant coincée au seuil de mon chapitre 5, parce que, sur ce point, mon subconscient a décidé de boire des mojitos les orteils en éventails.

("Salut ! je suis ton subconscient ! Ici, il fait trop beau et trop chaud, donc je ne vais pas rentrer de si tôt ; plein de poutous et profite bien du froid parisien !" ; photo par Enrico Gualandi ; source : FlickR)


Nous sommes donc le 14 mai et je viens à peine de finir mes analyses pour Tibère. J'avance vite, mais il est évident que je n'aurai pas fini mon chapitre avant la fin du mois, car il me reste encore Claude et Néron à faire dans leur intégralité et j'ai un article à rendre et une communication à venir.

Mais voyons le bon côté des choses : j'ai arrêté d'avoir mal au crâne.