mardi 13 octobre 2009

Go back to school, young girl, and learn to read...!

Ce soir, j'ai eu mon premier cours de paléographie, ce qui m'a fait penser que je vous devais une note sur l'édition des textes antiques (et pas seulement).

La paléographie est ce qu'on appelle parfois une science "auxiliaire" : c'est elle qui permet de lire les manuscrits. Eh oui ! ça s'apprend ! Que vous soyez latiniste ou non, essayez de lire quelques mots de cette page de l'Histoire des Francs de Grégoire de Tours...!

(Grégoire de Tours, Historia Francorum. Fol. 79v. Initiale ornée "A". Manuscrit : parchemin. 10 volumes. Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits (division occidentale). Latin 17655. ; source : Wikipedia)


Vous n'arrivez pas à déchiffrer un mot ? Bienvenue au club, moi non plus ! J'ai pourtant eu un semestre de papyrologie (lecture sur papyrus) grecque en L3 à la Sorbonne (mais je dois avouer que la seule fois où j'ai cru lire parfaitement du grec, i.e. à la toute dernière séance avant le partiel, le passage en question était écrit... en latin) et, pour une fois, le copiste a été sympa : il a mis des espaces entre les mots (ce qui n'est pas toujours le cas).

La paléographie, c'est donc ça : la spécialité qui consiste à lire les manuscrits. J'en profite pour préciser que les manuscrits sont faits de pages en fine peau d'animal (lorsque l'animal en question est un veau, on appelle cela du velin), assemblées en cahiers et reliées. C'était donc avant que le papier nous parvienne de Chine et, avant que les Anciens mettent au point la technique des manuscrits, ils écrivaient sur des rouleaux de papyrus, ce qui ne facilitait point la lecture (cf. image ci-dessous)...

(Linos (inscription, à gauche) tenant un rouleau de papyrus et Mousaios (inscription, à droite) tient des tablettes de cire pour écrire. Médaillon d'une coupe attique à figures rouges, par un peintre d'Erétrie, 440-435 av. J.-C., département des Antiquités gréco-romaines du musée du Louvre ; source : Wikipedia)

"Mais à quoi donc peut bien servir d'apprendre à lire des manuscrits ?! Encore un truc qui ne sert à rien !" me dira Not' Président (et peut-être son fils, puisqu'il est partout).

Oui, sauf que : je me doute bien que tu n'as jamais ouvert un Virgile ou un Cicéron de ta vie, voire même pas un Platon, mon p'tit Nico (je me permets de te tutoyer, hein ! J'estime que quand on dit devant elles, à une assemblée de personnes, qu'elles sont nulles et qu'on se permet donc de leur cracher à la figure, cela crée une certaine "intimité"). Mais imaginons que cela te soit déjà arrivé (demande à ta femme, ce sont des choses qui arrivent) : comment c'est-y que ton texte, il a traversé les siècles, depuis le tout premier de notre ère, pour terminer entre tes mains ? Tu y as pensé, à ça ? Non, bien sûr.

Il y a pourtant tant de choses qui ont fait que de nombreux chefs d'oeuvre de l'Antiquité nous sont, quand on a du pot, connus seulement de nom, sans qu'on puisse savoir ce qu'ils racontaient exactement ! Pour vous donner une idée, tout ce qui nous est parvenu de la littérature antique jusqu'à saint Augustin (IVème siècle après) correspond précisément à l'oeuvre de ce même Augustin. Parmi les diverses causes qui ont fait que certaines oeuvres ne nous sont pas parvenues ou ne nous sont pas parvenues entières (sur les 142 livres de l'Histoire romaine de Tite-Live, historien du début du Ier siècle après, qui a écrit en partant de la fondation de Rome jusqu'à, sans doute, la fin du règne d'Auguste, il ne nous en reste plus que... 35), on peut compter, en vrac : les guerres, les incendies, les anathèmes des papes, les souris, un toit qui fuit, j'en passe et des meilleures.

(Aristote, début de la Physique. Manuscrit médiéval en latin, texte grec original ajouté dans les marges. Bibliotheca Apostolica Vaticana ; source : Wikipedia)

Or, dans l'Antiquité et au Moyen Age, la transmission et la diffusion des textes se faisaient en recopiant chaque manuscrit à la main, principalement dans les monastères. Le problème, c'est que de tels travaux comportaient nécessairement des erreurs, que le scribe ait été fatigué ou qu'il ait sciemment voulu corriger le texte. Pour parvenir à une édition qui soit aussi proche que possible de l'original antique (j'écris "aussi proche que possible", parce que les manuscrits les plus anciens que nous ayons datent du IVème siècle après, ce qui est très postérieur au IVème siècle avant de Platon, par exemple), il faut donc lire tous les manuscrits d'une oeuvre et commencer par les comparer les uns avec les autres, pour voir lequel a été copié sur lequel, etc.

Pour ce faire, on compare les erreurs, parce que c'est précisément ce qu'ajoute chaque scribe en recopiant, sa "touche personnelle" si vous voulez. Donc, par exemple, si on part d'un manuscrit A mettons avec une erreur α : deux moines différents le recopient, ce qui donne deux nouveaux manuscrits, B et C, qui ont tous les deux l'erreur α, qui a été recopiée, + de nouvelles erreurs, différentes celles-là, qui ont été ajoutées par chaque copiste. En comparant les erreurs des manuscrits B et C, on voit qu'elles ne sont pas toutes les mêmes, donc C n'a pas été copié à partir de B, ni B à partir de C, mais comme certaines sont quand même pareil, cela veut dire qu'ils ont tous les deux été copiés à partir du même manuscrit. A la fin, on parvient à une sorte d'arbre généalogique, auquel on donne le nom grec de "stemma" (parce qu'on a quand même le droit de se la péter un peu). Tout ça, c'est le boulot des philologues.

Cette phase-là, c'est l'établissement du texte et ce n'est qu'une fois qu'on l'a passée qu'on peut se lancer dans la traduction. Evidemment, lorsque vous achetez en librairie une oeuvre de l'Antiquité, tout ce travail-là ne se voit pas, si ce n'est qu'il est parfois indiqué "texte établi et traduit par...". Mais, dans les éditions scientifiques, sous le texte original sont indiquées toutes les variantes trouvées pour telle ou telle expression, voire tel ou tel mot : on appelle ça l'apparat critique. Parfois, ça ne change pas grand chose, surtout quand il est manifeste que telle version de tel manuscrit est en fait une erreur de lecture du copiste (pour reprendre un exemple que j'ai vu aujourd'hui, c'est très vite fait d'écrire "neGati sunt", "ils furent niés", à la place de "neCati sunt", "ils furent tués", surtout quand le texte original était écrit en majuscules : C et G, ce n'est pas si différent que ça quand l'attention se relâche pour une raison ou pour une autre), mais parfois, ça change tout (cf. toujours l'exemple que je viens de donner).

Alors, évidemment, on peut considérer que la papyrologie, la paléographie et la philologie sont des sciences "auxiliaires". Il n'empêche que, sans elles, les sciences non "auxiliaires" que sont, entre autres, la recherche en littérature, l'histoire et la philo, seraient bien emmerdées avec leurs textes pas sûrs du tout.

Il ne me reste donc plus qu'à vous donner un dernier exemple photo d'à quoi on peut être confronté quand on fait de la paléographie (ou de la papyrologie) :

(Le roi Childebert III rend un jugement qui accorde à l'abbaye de Saint-Denis la terre de Hodenc-l'Evêque dans l'Oise. Dates 23-12-0695 ; 23-12-0695. Document en latin. Parchemin de taille environ 26 x 48 cm ; source : Wikipedia)
Maintenant, j'espère que tous ceux qui écrivent comme des cochons se rendent compte de la merde qu'ils laissent aux générations futures qui devront déchiffrer leur prose...!

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