jeudi 14 janvier 2010

La linguistique, c'est bien, surtout quand on n'y comprend rien...!

N'écoutant que mon courage, ce matin, après une soirée (un peu) arrosée et (un peu) tardive, je me suis héroïquement levée à 7h pour passer ma journée en bibli. C'est que j'ai appris hier qu'il fallait que je rende un plan et une biblio avant la fin du mois et, de toute façon, mes "échanges" franco-italiens font que je dois travailler deux fois plus entre temps, pour ne pas me retrouver dans une situation catastrophique masteriennement 2 parlant. Ajoutez à ça qu'il est plus facile de monter un projet de thèse avec biblio et tout et tout quand on a déjà un plan détaillé de son M2 (parce qu'on sait déjà ce qu'on peut recaser dans sa thèse) et vous obtenez la formule gagnante.

Donc, ce matin, je me suis traînée sous la douche à 7h et j'ai baillé mon manque de sommeil dans le tram, puis le RER. Heureusement, la bibliothèque d'Ulm avait tout prévu : la salle 2 était à peine chauffée ; un froid glacial, ça réveille. Avant la fin de la matinée, j'avais remis mon manteau, tiré les manches de mon pull jusqu'au bout des doigts (bénis soient les pulls aux manches trop longues ; ça rend l'écriture coton (enfin, laine, en l'occurrence), mais il n'est pas plus facile d'écrire avec des doigts congelés ; une année, un chercheur avait mis, sur le cahier des suggestions, "j'ai du mal à faire du grec avec des moufles") et jetais des coups d'oeil concupiscents à mon écharpe. Ce soir, à la fermeture (car j'ai fait l'ouverture et la fermeture, par Jupiter ; c'est la première fois, je le jure, et j'en suis atterrée : je crains d'être mûre pour la thèse...), j'avais des stalagtites au bout de mon nez congelé. Les chercheurs et les étudiants en lettres classiques sont valeureux : ils affrontent même le Pôle Nord pour pouvoir bosser.

Tout ça pour lire des articles de linguistique. Aaaaah, la linguistique...! J'ai rangé ce billet avec les sciences "auxiliaires", mais c'est seulement parce qu'elle est une science auxiliaire pour moi (au sens où elle me file un sacré coup de main). Par ailleurs, elle, elle est considérée, à très juste raison, comme un domaine d'étude à part entière.

Le problème de la linguistique, ce sont les linguistes. Personnellement, je les aime beaucoup. J'en ai deux parmi mes amis et ils me traitent parfois de "crypto-linguiste", juste parce que je trouve ce qu'ils font intéressant et pas nécessairement le signe d'un esprit complètement taré (même dans les "sciences de l'Antiquité", on a des échelles dans le degré de folie). J'ai aussi fait un peu de linguistique latine en L3 à la Sorbonne : ça m'a intéressée, mais pas suffisamment pour me donner envie de m'y consacrer (et puis, le prof qui vous dit "Vous savez, le latin, c'est fini ; faites de l'esquimau, vous aurez un poste tout de suite !", ce n'est pas très motivant).

En fait, le problème, ce sont les manies des linguistes. Ou plutôt LA manie des linguistes. Celle de la jargonologie. Ce n'est d'ailleurs pas une spécificité latine : elle a contaminé la recherche sur toutes les langues et en particulier le français, si bien que, quand il a fallu que je lise de A à Z et en détail le pavé vert des PUF sur la grammaire française, il s'agissait moins d'apprendre des choses sur le fonctionnement de la langue française que de me mettre à la page sur les changements terminologiques survenus depuis ma troisième... Pour info, par exemple, on ne dit plus "verbe transitif" (i.e. suivi d'un COD), ni "verbe intransitif" (i.e. suivi d'un COI), mais "verbe transitif direct" ou "transitif indirect" ; "intransitif", c'est devenu autre chose.

Les linguistes ont donc majoritairement la manie d'utiliser des termes très compliqués pour des choses relativement simples. En conséquence, beaucoup d'articles commencent par un nombre variable de pages, définissant les termes qui seront utilisés par la suite ; quand ce n'est pas dans le corps du texte, c'est en note, le cas le plus cauchemardesque étant celui où on a seulement en passant " je reprends bien sûr à mon compte les termes de la grammaire de M./Mme ****" (surtout quand on n'a aucune notion de ce qu'est la fameuse grammaire de M./Mme ****, of course). Aujourd'hui, je me suis donc frottée à la prédication (qui n'est pas ce que vous croyez), à la proposition (idem), au "tropic", "phrastic" et "neustic", termes que même l'auteure entourait de guillemets. C'est pratique, en un certain sens : ça me permet de renouveler ma collection d'insultes haddockiennes (je suis sûre que personne ne vous a jamais traité d' "anaphore adjectivale prépositionnelle" ; c'est très efficace, pourtant ; on a les joies qu'on peut).




Ce qui est moins pratique, en revanche, c'est que cela vous oblige à un perpétuel travail de traduction/décodage systématique, sous peine de ne rien comprendre et de vous noyer. Par exemple, par "nature illocutoire basique de l'énoncé", il faut comprendre, tout bêtement, "phrase déclarative" : c'est dingue ce qu'un simple point peut devenir compliqué, tout à coup (pour les linguistes qui passeraient par ici et qui s'indignent déjà : oui, je sais, c'est plus compliqué que ça, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit pas seulement des propositions principales ou indépendantes) !

Et ça, encore, c'est quand ils n'utilisent pas des abréviations ! Parce que, ces énoncés à rallonge, c'est beau et précis, mais c'est surtout long à écrire. Les linguistes ont donc la manie des abréviations. En règle générale, ils les expliquent, par exemple en signalant que, ce qu'ils appellent "Loc. 1" (pour "locuteur 1"), c'est celui qui cite, "Loc. 2" (pour "locuteur 2", vous l'aurez compris) celui qui est cité. Parfois, ils n'expliquent rien du tout, mais, en règle générale c'est pour les expressions courantes : "DI" pour "discours indirect", ça va, ce n'est pas inhumain.

Le hic, c'est que ce qui est courant pour les uns ne l'est pas nécessairement pour les autres : c'est ainsi que j'ai vu débarquer, en plein milieu d'un article, des "A.c.I.", terme manifestement féminin que je n'avais jamais rencontré, ni dans la première partie du texte, ni ailleurs ; je regarde la suite : c'est générique, donc les exemples ne sont pas éclairants ; j'envoie un texto à mon amie linguiste : inconnu au bataillon aussi de son côté. Je fais donc une annonce publique : si vous savez ce qu'est une "A.c.I", please, laissez un commentaire : j'ai plus ou moins compris le concept, mais j'aimerais quand même savoir ce que ça veut dire exactement (je penche pour un truc genre "assertion complétive à l'infinitif") ; ceux qui ne savent pas, mais qui ont de l'imagination, sont eux aussi invités à faire part de leurs suggestions. :p

Tout ça, parfois, pour plus ou moins redire ce qui se trouve déjà dans toute grammaire de base. En l'occurrence, aujourd'hui, j'ai appris que, dans le discours indirect ("il dit qu'il vient") en latin, on utilise le subjonctif pour ce qui serait une question ou un ordre au discours direct (« Je viens.») et l'infinitif pour le reste. Je le sais depuis ma quatrième ; félicitation à l'auteure : à l'évidence, elle aussi. Mais bon, c'est vrai que, là, je suis injuste et méchante, d'abord parce qu'elle n'a pas fait que vérifier sa grammaire, elle a montré des nuances très intéressantes, ensuite parce que, la grammaire, c'est passionnant. Vraiment. Comprendre de l'intérieur comment fonctionne une langue est assez jubilatoire et donne l'impression d'avoir plus de prise sur des choses qu'on fait sans même s'en rendre compte. Mais si ça pouvait être plus facilement accessible, ce serait tellement mieux...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire