dimanche 19 septembre 2010

Tempête sous un crâne

"Bonjour et bienvenue dans l'équipe du TD "Littérature et réel" ! Voici, en pièce jointe, le document de coordination de tous les chargés de ce cours ; je vous transfère aussi aussi les échanges de mails avec certains d'entre eux, afin que vous ayez une idée de ce que vous pourriez faire. Ce serait bien de me donner aussi vite que possible votre programme, car les inscriptions pédagogiques sont cette semaine ! Cordialement, X."

Il est sympa, X. Il m'a envoyé exactement tout ce dont j'avais besoin pour comprendre en quoi doit consister mon TD et ce que je suis censée y faire. Les échanges de mails qu'il m'a transférés m'ont permis de voir comment on peut mettre en place un cours de ce genre, qu'on soit totalement débutante (comme moi) ou déjà une prof aguerrie.

Il n'empêche que, lundi soir, quand j'ai reçu ces trois mails (un en réponse à celui que je lui avais envoyé le matin, deux transférés), j'ai salement flippé : si les inscriptions pédagogiques sont cette semaine, ça signifie qu'il faudrait que je lui envoie, dans l'idéal, demain mon programme de cours ou au moins une description. Ce qui veut dire qu'il faut que je monte mon TD là, maintenant, tout de suite, dans la nuit.

Je n'ai jamais fait ça et, en plus, ça n'a aucun rapport avec ce que j'étudie à longueur de journée.

Damnède.

J'ai dû changer de couleur, parce que Chéri s'approche de moi : "Ça va ? Il y a quelque chose qui ne va pas ?" Je prends mon ton le plus résolu et le plus désespéré : "J'ai la nuit pour monter entièrement mon TD." Il compatit et retourne à ses transcriptions de Verdi, qui, elles aussi, vont lui prendre la nuit et qui le gonflent sans doute encore plus que moi de me voir ainsi brutalement le dos au mur, quand tous les autres ont eu deux semaines tranquilles pour faire le même boulot.

Je regarde le descriptif des deux cours qui m'ont été envoyés : bon sang, c'est hyper pensé ! Comment voulez-vous que j'arrive à faire pareil, alors que je ne suis pas spécialiste de littérature française et que, en gros, je n'ai qu'une soirée pour le faire ? Le tout sans indications vraiment précises sur ce qu'on attend de moi : je peux faire ce que je veux. En soi, c'est assez exaletant, mais, sur une soirée, ça me fait méchamment flipper, d'autant que je m'étais attendue à quelque chose du genre "vous devrez faire étudier des textes représentatifs de chaque courant des XIXème-XXème siècles, sous l'angle du rapport au réel" ; là, en fait, l'idée, c'est de prendre une oeuvre dans chacun d'eux, de les faire acheter aux étudiants et de les étudier sous cet angle. Fort heureusement, ce n'est pas rigide : on peut prendre une oeuvre et étudier ensuite des extraits d'autres livres.

Je lis une fois, deux fois, trois fois le descriptif, une cent-douzième fois les deux exemples. Chéri lâche Verdi pour aller se détendre en jouant du piano, en face de mon bureau. "Tutto bene ?" Je grogne : j'ai le cerveau en ébullition et, à l'intérieur de moi-même, j'essaie désespérément de contenir la panique qui commence à monter.

Je finis par me lever et me planter devant ma bibliothèque (qui n'est qu'une infime partie de la masse de bouquins que je possède, la plus grande se trouvant encore chez ma mère ; dans l'idéal, j'aimerais tout rapporter ici ; dans la pratique, vu la taille de mon appart', c'est, hélàs, impossible). Bon. Qu'est-ce que j'ai comme bouquins des XIXème-XXème siècles, sachant que je ne peux faire que de la littérature française ? Evidemment, toutes les idées qui me viennent sont en rapport avec une oeuvre dans une autre langue : classique.

Zola, Balzac... C'est alors que mes yeux tombent sur Notre-Dame de Paris. Illumination : j'ai toujours beaucoup aimé Totor, j'ai eu des cours géniaux là-dessus il y a deux ans, en agrèg' (même si c'était sur Hernani et Ruy Blas), et, bon sang, tout le monde connaît Notre-Dame de Paris. Leur demander de le lire en trois mois n'est quand même pas la lune et l'étudier du point de vue de la création/recréation d'un réel historique a un tout petit peu de rapport avec mon sujet de thèse (dieux de la narratologie, je vous salue !).

Je prends le bouquin, je le feuillette rapidement, j'essaie de retrouver des scènes qui pourraient être intéressantes. J'ai l'impression que je n'y arriverai jamais : et comment je fais, ensuite, pour le XXème ? Je reprends un roman historique ? Mais il y a quoi, comme roman historique du XXème ? Je récupère Le Hussard sur le toit : pfff... je ne me vois vraiment pas bosser uniquement là-dessus, d'autant que je n'ai jamais eu de cours sur Giono et que ça ferait deux oeuvres longues à lire pour mes étudiants, donc de grandes chances pour qu'ils ne le fassent ni pour l'une, ni pour l'autre (si j'en crois ce que le descriptif laisse entendre par "oeuvre courte, peu chère et facile d'accès pour des première année" - autant dire que j'ai laissé tomber tout de suite Sous le soleil de Satan, qui, pourtant, a un rapport au réel très intéressant).

Je parcours un mètre (l'avantage des apparts "mouchoir de poche", c'est qu'on n'a pas de grandes distances à parcourir) pour faire un calin à Chéri : "Dis, si on mangeait ? J'ai besoin de m'aérer la tête...".

Un repas et deux épisodes d'une série satirique italienne plus tard, nouvelle illumination (ou, plutôt, résignation, parce que je n'ai pas vraiment eu l'impression d'être transportée de joie) : oublions l'oeuvre intégrale du XXème, étudions des extraits de textes en "miroir", i.e. que, moi, je vais mettre en miroir à Notre-Dame de Paris. Et, ça, c'est assez facile, ça ressemble un peu à trouver des exemples pour illustrer un développement dans une dissertation : "Alooooors... Qu'est-ce que je pourrais bien utiliser...?" On pourrait appeler ça aussi : "comment recycler les cours de littérature française que vous avez déjà eus jusqu'ici, de la première à l'agrèg'".

Imaginez la scène : en pleine nuit, dans un petit appartement parisien, deux tarés en train de bosser frénétiquement, en grognant alternativement à intervalles réguliers ; l'une est devant son ordi et s'entoure progressivement d'une muraille de livres en essayant désespérément de mettre au point quelque chose qui tienne la route et qui puisse intéresser des étudiants à peine sortis du lycée ; l'autre est aussi devant son ordinateur, insulte régulièrement le ténor ou le violoncelle parce qu'ils sont vraiment crétins et fait jouer périodiquement sa transcription par la machine, avec un son mécanique horrible et un tempo accéléré pour ne pas perdre de temps.

Vers une heure du matin, j'avais réussi à monter un truc potable (qui a beaucoup plu, le lendemain, au coordinateur du TD). Je me suis traînée jusqu'au lit (la distance n'était pas grande, mais essayez de vous traîner sur une échelle, pour accéder à un lit mezzanine), où je me suis endormie, le cerveau toujours en ébullition. J'ai d'ailleurs passé la nuit à faire et refaire des cours (mais je me suis levée avec les idées nettes, ce qui est un bon présage). Maintenant, il ne me reste plus qu'à les préparer.

Esprits de la narratologie, êtes-vous là...?

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