jeudi 28 octobre 2010

La ponctuation (et la grève et la banalisation des cours) m'a tuer

Quand je suis arrivée, ils étaient quatre devant la porte. Après qu'on est entrés dans la salle, ils sont devenus cinq. Puis six. Pour un effectif aux alentours de vingt-cinq. J'ai un peu fait gloup.

J'ai essayé de bloquer la porte avec une chaise pour qu'elle reste ouverte et que d'éventuels nouveaux arrivants n'attendent pas bêtement dans le couloir (en passant : bon sang, qu'est-ce qu'elles sont lourdes, ces portes ! J'ai un mal de chien à les ouvrir !). Je me suis retournée pour regarder mon effectif pléthorique, qui contemplait mes efforts de l'air de dire "eh beh, elle a de l'espoir, celle-là !".

«Vous avez eu cours, ce matin ? Vous savez si vos camarades vont venir ?
- Ben, en fait, le bâtiment était bloqué ce matin, alors beaucoup de gens sont rentrés chez eux...
- Ah. On va attendre dix minutes et ensuite on voit.»

Je peux vous dire que j'étais vraiment bien emmerdée : depuis des années, dans ce genre de situation, du côté "élève" du bureau, j'ai toujours ardemment souhaité que le prof décide qu'on n'était pas assez pour faire cours et les minutes d'attente pour voir si d'autres arrivaient se passaient en Profondes Réflexions Stratégiques du genre : "Si on le regarde avec des yeux suppliants, est-ce qu'il va tous nous lâcher ? En même temps, s'il voit là un encouragement à faire cours, on aura l'air fins..." Ça se terminait inévitablement par des yeux dans le vague pour ne pas croiser le regard du prof, en attendant impatiemment qu'il prenne une décision.

Exactement les mêmes yeux dans le vague que ceux de mes étudiants cet après-midi.

Sauf que, cette fois, je ne suis plus étudiante, mais prof, donc c'est à moi de décider. Et là, je comprends pourquoi mes enseignants mettaient autant de temps à le faire, alors que eux, comme nous, n'avaient qu'une seule envie, rentrer chez eux : on envisage l'idée et, tout d'un coup, on pense au planning, au retard qu'on va prendre, aux interros qu'on doit leur coller, au fait que ce cours-ci ne pourra pas compter...

On se creuse aussi les recoins de la cervelle à la recherche de ce qu'on avait prévu de faire la semaine d'après, on se dit : "Mais bon sang, ce cours, je l'ai préparé il y a un moment ! Je l'ai même revu ce matin pour remplir mon bon de photocopies à la repro ! C'était quoi, déjà ?!" Puis on a une illumination et on se retient à grand peine de lâcher un "merde !", parce que le planning du cours de la semaine prochaine est déjà chargé, alors combiner DEUX cours en un... Si encore je n'avais pas su sur quoi les faire bosser, mais là, je commence à m'habituer au format en deux heures, donc j'ai prévu largement de quoi...

Puis on passe à des considérations plus pressantes : "Allez, je leur fais la partie grammaire et je les lâche, j'enverrai un topo par mail à leurs camarades, comme ça je pourrai quand même les interroger dessus. Enfin, quand j'aurai un effectif suffisant pour que ça ait un sens de leur coller une interro... En même temps, si je prévois d'envoyer un topo, est-ce que ça sert vraiment que je leur fasse la partie grammaire ? D'autant que celle de discussion sur les articles ne peut pas passer par mail. C'est plutôt celle-là que je devrais faire aujourd'hui. Mais ils sont seulement six, aussi, ça n'a pas beaucoup de sens de le faire avec seulement un cinquième de l'effectif. C'est quand même ça, le sujet principal du cours. Si je ne le fais pas, autant tout annuler. Oui, mais ils sont quand même six, c'est trop pour annuler purement et simplement le cours. Et, en même temps, ce n'est pas assez pour me comporter comme si de rien n'était..."

Au final, j'ai opté pour seulement la grammaire, en me disant que je pourrais toujours bidouiller pour grouper les deux parties expression écrite la semaine prochaine. Je les ai donc lâchés au bout de seulement une heure, après avoir répondu à leurs questions, et j'ai passé tout le chemin du retour à me demander si j'avais fait le bon choix.

A mon avis, il n'y en avait pas. Le problème était ailleurs, plus haut : je n'avais pas envisagé une seule seconde qu'ils puissent être aussi peu. Je n'avais donc pas prévu cette éventualité et je me suis trouvée sans solution de repli. Avec un tout petit peu d'imagination, j'aurais sans doute pu improviser quelque chose de plus adéquat, mais, là, j'ai été coincée, dans l'urgence, devant la Question Fatale : lecture or not lecture ?

Il paraît qu'il y a une nouvelle mobilisation la semaine prochaine, encore une fois le jeudi : j'ai donc une semaine pour être créative...


("Une salle de classe au lycée français du Caire" (qui ressemble trait pour trait à celle où je fais cours à la fac), photo par Khoyobegenn ; source : Wikipedia Commons)

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