mercredi 17 novembre 2010

Quelle légitimité à exister pour l'ENS ? (3)

La question du salaire des normaliens.

La justification du salaire versé aux normaliens vient donc de ce qu'ils sont censés être les meilleurs : la République finance les études de ses meilleurs étudiants et, en contre-partie, ils s'engagent à travailler dix ans pour elle. Normal. 

Les égalitaires (j'appelle ainsi ceux qui, à juste titre, voudraient que tous les étudiants français soient traités selon les mêmes critères) accepteraient éventuellement cela si l'on était absolument sûr que les normaliens sont les meilleurs étudiants français. 

Or nous avons vu que ce n'est pas nécessairement le cas. D'abord, même si nous sommes généralement parmi les meilleurs, nous ne sommes pas absolument les meilleurs et ne pas avoir intégré ne signifie heureusement pas qu'on ne peut pas en faire partie. Ensuite, il y a toujours des gens qui soit n'entendent jamais parler de l'ENS et de la prépa, soit ne la supportent pas et partent avant même que les choses sérieuses ne commencent : je suis arrivée deuxième au tout premier contrôle de niveau de latin, en hypokhâgne ; la première n'était même pas là pour récupérer sa copie : elle était partie au bout d'une semaine.

Cela pose la question de l'information des lycéens et étudiants sur l'existence des prépas et de l'ENS et, dès lors, de l'ambition qu'on a pour eux : ne pas se taire parce qu'on estime qu'ils n'y arriveront pas, mais leur en parler et les laisser faire leur propre choix, tout en étant clair sur leur niveau, pour ne pas, non plus, les voir s'engager dans une voie de garage. 


Finalement, est-ce un problème de ne pas faire l'ENS ?

On peut se demander aussi si c'est vraiment un problème de ne pas être passé par l'ENS. Si on veut faire de la recherche, c'est sans aucun doute plus dur : on peut reprocher beaucoup de choses à l'Ecole, mais on ne peut nier le gigantesque "coup de pouce" que représentent son rôle de catalyseur, son statut de Grande Ecole et sa réputation, les bourses qu'elle distribue et les facilités qu'elle offre pour connaître les gens et se faire connaître d'eux (il est plus facile d'oser contacter un chercheur américain quand on en voit intervenir régulièrement au sein de son département). Cela ne veut bien sûr pas dire qu'il n'y a pas de bonne recherche hors de l'ENS, fort heureusement.

On ne peut nier, non plus, que ses préparations aux diverses agrégations sont soit les meilleures, soit parmi les meilleures. 

Mais, dans les autres cas, il n'est pas sûr qu'il faille s'escrimer à vouloir intégrer, voire même à faire une classe préparatoire.

Cela signifie donc que le système de l'ENS ne finance qu'une partie des filières universitaires (en plus de n'en financer qu'une partie de leurs étudiants) et qu'il faut donc, aussi, que les meilleurs élèves des autres disciplines puissent également l'être par l'Etat. Il est tout à fait juste qu'il y ait des bourses en fonction des revenus ; il me semble qu'il est également nécessaire qu'il y ait, à côté, des bourses au mérite, fondées sur les résultats (avec quand même une certaine prise en compte des revenus : il ne serait pas juste qu'un étudiant, même excellent, archi financé par des parents aux revenus aisés, reçoive une bourse "argent de poche"). 



Problème moral associé

Il est en effet tout à fait insupportable de considérer que la fac serait "réservée" aux "mauvais". Je ne reviendrai pas sur le fait que ce n'est pas vrai des étudiants, il me paraît l'avoir déjà développé. J'ajouterai donc "seulement" que ce n'est pas non plus le cas des profs : comme pour les étudiants, une partie des profs est composée d'anciens normaliens ; les autres, pour être là où ils sont, se sont distingués, eux aussi, par leur excellence : soyons clair, même si tout le monde a un exemple en tête,  moi la première, les mauvais deviennent très rarement profs de fac. 

Après, cela ne signifie pas qu'ils seront d'excellents enseignants : le sens de la pédagogie, on l'a ou pas, on peut l'apprendre en partie, mais, aimer enseigner, c'est fondamentalement une question de goût. Il n'est pas toujours évident de se retrouver devant une salle pleine d'étudiants, préparer des cours prend un temps parfois assez désespérant et devoir corriger une quarantaine de commentaires corrigés en quinze jours exige une bonne dose d'automotivation ("j'ai le feu sacré, j'ai le feu sacré, j'ai..."). 

Ceci dit, je trouve tout à fait normale, et même nécessaire, la double casquette d'enseignant-chercheur. L'université est un lieu de transmission entre la recherche et le fait de porter à la connaissance des étudiants ses dernières avancées. L'université est aussi un lieu de pensée : on trouve beaucoup d'idées  sur son propre domaine de recherche même en préparant des cours qui en sont assez éloignés (après m'être arraché les cheveux sur mon cours de littérature française des XIXème et XXème siècles, je me suis ensuite rendue compte qu'il me mettait en contact avec un certain nombre de concepts pouvant tout à fait entrer dans le cadre de mon projet de thèse). Enfin, l'université est un lieu d'échange : certes, le prof délivre un enseignement, mais les étudiants ne sont (normalement) pas passifs non plus ; eux aussi ont des idées et, surtout, voient les choses d'un oeil neuf.

En bref et pour revenir au sujet, la fac est loin d'être le repaire des "mauvais", qu'il s'agisse des profs ou des étudiants, et devrait donc, elle aussi, financer ses meilleurs élèves.


(Suite et fin la prochaine fois)

4 commentaires:

  1. Salut Salut!

    J'ai découvert ton blog totalement par hasard, et je l'ai trouvé hyper intéressant. Je t'écris ce commentaire parce que je pense que peut-etre tu pourras m'aider. Je suis dans un total flou sur ce que je vais faire dans l'avenir!
    Explications : je suis en licence en fac de Lettres à Montpellier, là je viens de finir ma L2 et je passe en L3 (parcours Lettres Modernes). Ce qui m'intéresse c'est la recherche en littérature (aie) et je sais que l'ENS est le meilleur moyen d'y parvenir. Mais voilà, je ne suis jamais passée par une prépa et meme si je suis l'une des meilleures dans ma promo j'envisage difficilement de pouvoir réussir à un concours qui comprend des épreuves d'histoire et de philo! Bref, j'ai entendu parler de l'admission sur dossier mais bon le statut n'est pas la meme. Sinon y'a la Sorbonne où je pourrais certainement faire un master recherche mais il est vrai que c'est beaucoup moins prestigieux et je suis prete à souffrir pour arriver au top (ouaaaaa). Bref. Que faire? L'ENS c'est définitivement mort pour moi? Et quid de la Sorbonne? Est-ce intéressant et au top niveau? Heeeeelp! Je ne sais pas si tu recevras ce message mais bon, j'ai bon espoir que si :) J'aurais vraiment besoin de conseils de gens qui connaissent bien ces milieux, Amicalement, Joyce :)

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  2. Bonjour,

    tout d'abord, pas de panique, la fac de Montpellier est une excellente fac, donc ce n'est pas comme si tu étudiais à Trifouilli-les-Oies, surtout si tu es parmi les meilleurs de ta promo.

    Je suis allée vérifier sur le site d'Ulm et a priori rien ne dit qu'on ne peut pas candidater si on ne sort pas d'une classe préparatoire. Mais, ce qui n'est pas dit non plus, c'est que cette procédure vise à récupérer les khûbbes (ceux qui ont fait hypokhâgne + deux khâgnes) très bons dans leur spécialité, mais pas assez ailleurs pour intégrer. Tu peux donc, dans l'absolu, présenter ta candidature, mais en sachant que tu ne fais pas vraiment partie de la population visée, qu'il y a un nombre de places limitées et que, en général, le département de Lettres Modernes n'est pas en manque de candidats.

    Cependant, ne pas être à l'ENS ne signifie absolument pas pour toi que la recherche en littérature t'est fermée. D'abord parce que tu es dans une fac qu'il n'a rien à envier à la Sorbonne : venir de Paris IV n'est pas nécessairement un plus (ça peut même être un handicap) ; ce qui comptera principalement, c'est ta thèse et avec qui tu la feras.

    Autre élément extrêmement important si tu veux faire de la recherche : PASSE L'AGRÉGATION. Sans agrèg', bien souvent pas de thèse, encore plus souvent pas de bourse de thèse. On peut tout à fait faire une thèse puis de la recherche sans l'avoir (à mon avis, ce sera de plus en plus le cas), mais, en lettres, l'agrégation est une garantie de niveau élevé qui te fera toujours passer devant ceux qui ne l'auront pas obtenue.

    Tu es en L2, tu as encore un an, voire trois : réfléchis tranquillement à ce sur quoi tu aimerais travailler en M1, éventuellement trouve-toi un sujet, et cherche avec qui tu pourrais le réaliser. Tes deux années de master vont te permettre de savoir si la recherche te plaît vraiment (ce n'est pas toujours évident, il y a des gens qui se rendent compte qu'en fait ils détestent ça), sachant que, dans l'idéal, ton M2 devrait être une sorte d'introduction à ton sujet de thèse.

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  3. Après ça, passe l'agrèg' au moins une fois. Ce n'est pas une partie de plaisir, surtout pour la partie "langue française" (mais j'ai un problème avec le français médiéval, donc je ne suis peut-être pas très objective ;)), alors ouvre les oreilles si tu as déjà des cours là dessus et, si possible, pendant ton master, potasse quelques manuels. Bétonne ta grammaire latine, aussi : la version est souvent peu difficile et apporte des points non négligeables.

    Si tu n'arrives pas à avoir l'agrèg' et que l'enseignement ne te rebute pas, passe le Capès : il est assez courant, en lettres modernes, d'avoir des profs du secondaire qui font aussi de la recherche en dehors de la fac. Si l'enseignement te donne des boutons, il y a beaucoup de postes annexes (bibliothécaire, éditions universitaires ou non, etc.) qui pourront te convenir.

    Dans tous les cas : zen ! La route est encore longue et tu n'es absolument pas obligée de quitter Montpellier. Si tu veux bosser sur UN sujet bien particulier et que LE spécialiste est à Paris (pas nécessairement la Sorbonne, d'ailleurs, il y a aussi Nanterre, Diderot, etc.) ou ailleurs, ok. Sinon, pas la peine.

    Dis-toi aussi que les universités de province ont plus tendance à recruter des candidats internes (i.e. des gens qui viennent de chez eux) qu'externes (en gros : des Parisiens) et que ne pas avoir été à l'ENS n'est absolument pas un handicap : ça facilite les choses pour avoir une bourse et se familiariser avec le monde de la recherche, mais de moins en moins et, surtout, ce n'est en aucun cas "hors de l'ENS pas de recherche possible". Regarde le parcours de tes profs : je suis sûre qu'ils ne sont pas tous passés par là.

    Parle-leur de tes projets : plus on a de conseils, mieux c'est, et, si on te fait un tableau apocalyptique, ne te laisse pas abattre, car, au pire, d'autres voies s'ouvrent toujours.

    Si tu as d'autres questions ou que tu veux des précisions, utilise l'adresse mail en haut à droite du site : je te répondrai. :-)

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