samedi 29 janvier 2011

Conférence (ou pas) censurée (ou pas) : qu'en penser (ou pas) ?

Bonne année 2011 ! Oui, il est tard pour le dire, mais ce début d'année est une période très prenante, autant pour Lina que pour moi, visiblement. Entre la thèse, la recherche, les cours, les partiels, les activités annexes et la Vie Autre, il n'est pas simple de prendre du temps pour tout.

Mais tout de même, voilà que depuis la mi-janvier on parle soudain beaucoup de l'ENS dans les médias. Vous savez sûrement déjà pourquoi : l'annulation par la Directrice de l'Ecole, Monique Canto-Sperber, d'une conférence de Stéphane Hessel. Annulation saluée par le CRIF (et par d'anciens normaliens), conspuée par beaucoup d'autres (dont d'autres anciens normaliens), évoquée tantôt comme un acte de "courage", tantôt comme une "censure" dangereuse prouvant que l'ENS serait sous influence. C'est le genre de débat qui enfle très vite, charriant des accusations violentes de part et d'autre, et se trouve repris un peu partout. Tout y était pour que le débat enfle et dérape : le sujet sensible (le conflit israélo-palestinien), un enjeu grave (l'accusation de censure), les personnalités hautement médiatisées, la Grande École, les élites potentiellement corrompues, les théories du complot, enfin, tout.

Je me crois obligé de parler de ce sujet, parce que, dans un contexte pareil, et avec un échauffage de nerfs aussi impropre à la réflexion posée, on serait capable de voir dans le silence de ce blog (tenu pour le moment par deux anciens normaliens) une sorte de silence coupable, ou complice, ou Zeus sait quoi encore. C'est un peu comme cette loi de Solon qui prévoyait de frapper d'infamie tout citoyen qui ne prendrait pas part dans une guerre civile (oui, j'instrumentalise l'actualité pour caser des éléments de cours, j'assume). C'est le genre de débat, encore une fois, où la répétition de l'événement prend tellement le pas sur la réflexion qu'on finit par obéir à des logiques aberrantes où il faut absolument être pour ou contre quelque chose, dans un camp ou dans l'autre, bref, être du côté des gentils (conférencier censuré ou directrice calomniée) et définir les autres comme les méchants (lobbyistes cherchant à changer l'ENS en tribune politique pro-palestinienne, ou bien censure de la Direction acquise au CRIF).

Alors, la conférence de Stéphane Hessel a-t-elle été censurée, ou pas ? Était-ce une conférence sur la liberté d'expression ou un meeting pro-palestinien biaisé d'avance, ou pas ? Canto-Sperber a-t-elle agi sous influence, ou pas ? Que faut-il en penser, ou pas ? La oupalgite, comme dirait Frédéric Pommier, menace. Alors, comment diable s'y retrouver dans cette histoire ?

Eh bien... je n'en ai pas la moindre idée. J'ai lu les propos des uns et des autres, et je n'ai pas moyen de savoir ce qui s'est vraiment passé. Le fait d'avoir été scolarisé à Ulm ne me donne aucune lumière particulière sur la question. J'en conclus (de façon peut-être un peu prétentieuse) que, si je n'ai aucun moyen de trancher une question pareille, alors que je connais bien cette école et que je vais encore très souvent y travailler, il n'y a peut-être pas de moyen magique de savoir instantanément ce qui s'est passé.

Avant de se faire un avis, donc, le plus sage semble être de rappeler simplement les éléments du débat avec quelques liens :
Il n'y a sans doute pas lieu de crier si vite à la censure, même s'il n'est pas mauvais de se poser la question. Ce qui me paraîtrait déplacé, en revanche, ce serait de tomber à bras raccourcis sur l'ENS en général, et sur Monique Canto-Sperber en particulier, en les présumant coupables, sans prendre le temps de lire les arguments des uns et des autres. Je n'ai aucune tendresse particulière pour la politique actuelle de l'Ecole, et l'attitude de Mme Canto-Sperber sur d'autres questions n'a pas été sans défauts, mais ce n'est pas une raison pour aller si loin et si vite en besogne.
Car il faut convenir que, sur ce sujet précis, les arguments de la Direction et de Mme Canto-Sperber concernant la sécurité ne sont pas complètement absurdes. Comme tous les élèves de l'Ecole, j'ai vu passer dans ma boîte de réception, au cours de ma scolarité, des milliers de courriels annonçant des conférences, débats, colloques, journées, projections, etc. et autant d'autres envoyés par les multiples séminaires, cours, clubs, associations, revues, etc. présents à l'Ecole. Or, il m'est arrivé d'en voir passer qui avaient trait à des conférences-débats portant sur le conflit israélo-palestinien, et j'avais été frappé par la grande violence de leur style, qui ne donnait pas vraiment envie de s'intéresser aux conférences en question (il y avait même des mails rédigés entièrement en majuscules, ce dont tout bon internaute saura que ça ne sert à rien, à part rendre la lecture désagréable). Je ne sais plus si ces mails émanaient du Collectif Palestine ENS ou bien d'une entité quelconque du bord opposé (je ne les ai malheureusement pas conservés : on en voit passer des dizaines, comme j'ai dit, et même les archivistes amateurs les plus acharnés comme moi ne conservent pas tout).
De plus, je me souviens qu'une précédente conférence sur le sujet, il y a quelque temps, avait donné lieu à des insultes de membres du public envers les intervenants, ce qui avait entraîné des réactions écrites passionnées des uns et des autres (cela devait être dans le BOcal, feuille d'actualité de l'Ecole). Parler de risques pour la sécurité à propos d'une conférence-débat sur le sujet n'est donc pas une simple excuse malhabile pour dissimuler une censure : replacé dans le contexte plus général des conférences sur la question déjà organisées à l'ENS, c'est un véritable problème.

Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas eu de pressions exercées sur l'ENS. Je n'ai, de mon côté, aucun moyen de trancher. Ce qui me paraît regrettable, indépendamment de la question immédiate de l'annulation de la conférence, c'est que les intervenants, tant d'un bord que de l'autre, semblent incapables, depuis si longtemps, de débattre en des termes un tant soit peu posés, sans enfler si démesurément les termes du débat. En agissant ainsi, ils ont toutes les chances de faire fuir leur public potentiel au lieu de l'intéresser aux problèmes dont ils veulent parler.
Je m'étonne aussi que d'anciens normaliens prennent si vite des positions si radicales envers une ENS qui a beaucoup changé depuis la fin de leur scolarité... et dont ils sauraient justement, s'ils y avaient été scolarisés plus récemment, qu'on n'y pratique pas couramment la censure, et que tout n'y est pas tout noir, même si tout n'y est pas tout blanc.

Pas de moyen de trancher, donc, mais des liens vers les propos des partis en présence et vers quelques articles sur la question, afin que chacun se forge son propre avis, posément, en prenant un minimum de distance envers les réactions et contre-réactions brûlantes.

1 commentaire:

  1. Même position : je ne sais pas quoi en penser, si ce n'est que, toute sympathisante de la cause palestinienne que je suis (attention : j'ai écrit "sympathisante", pas "militante"), j'ai toujours été assez agacée 1) par le spamming systématique de ma boîte mail ENS par l'association en question (la moindre des politesses, c'est de demander aux gens s'ils veulent être sur votre mailing list, surtout quand ils n'ont jamais eu aucun contact avec vous) et 2) par le contenu extrêmement violent et haineux de ces mails.

    Après, tout ça sent à plein nez le rétropédalage moniquien en catastrophe de type "je sens que j'ai fait une boulette, je sens que je fais une boulette, je sens que je vais faire une boulette".

    Sur ce, I'm back : les Salzbourgeois, leur bière et leurs testicules de Mozart n'ont pas eu ma peau (celle de ma balance, en revanche...) et j'ai aussi survécu à mes corrections de copies ! Je vous dis donc à demain, pour le fameux épisode aussi attendu qu'un nouveau nom de prostituée mineure ayant "dîné" avec Berlusconi : "Corrections, piège à con" ! (demain, chez vos marchands de journaux, donc)

    RépondreSupprimer