lundi 24 octobre 2011

"Tu connais la différence entre une danseuse prise dans une compagnie et une danseuse refusée par une compagnie ?

... Aucune. Le lendemain matin, elles sont en salle, à la barre, devant le miroir, et elles s'entraînent."

La phrase ci-dessus est une citation de mémoire d'un des livres que je lisais gamine, sur une jeune danseuse qui voulait être étoile ; elle s'applique bien à la situation où je me trouve à présent.

Vous vous souvenez de mon marathon pour l'Ecole Française de Rome

La commission pour les demandes de bourses était le 11 ; ne voyant toujours rien venir, ni par mail, ni par la poste, lorsque j'ai appris qu'une de mes amies avait reçu une réponse positive vendredi dernier, j'ai commencé à subodorer quelque chose de fort désagréable. Après que j'en ai un peu parlé autour de moi, on m'a conseillé d'envoyer un mail aujourd'hui : peut-être qu'ils avaient sauté mon nom sur la liste, que la lettre s'était perdue, qu'ils attendaient les réponses de candidats ayant des impératifs pour les dates, étant donné que, sur ce point, j'étais assez flexible. J'ai donc fini par envoyer un mail et le fort désagréable s'est confirmé : ma demande n'a pas été acceptée. Mon projet n'est pas apparu assez structuré, en particulier à propos de la nécessité de me rendre sur place et dans les musées, et, pour le reste, la commission a considéré que les bibliothèques parisiennes me suffisaient largement. 

Evidemment, j'ai un peu accusé le coup, même si, depuis samedi, je me doutais bien de ce qui m'attendait. Je ne peux même pas dire qu'ils n'ont pas raison, ce ne serait pas vrai. Si mon directeur ne m'en avait pas parlé, je n'aurais, de moi-même, pas eu l'idée de présenter une demande de bourse, entre autres parce que je ne voyais pas comment je pourrais la motiver : j'avais tout ce dont j'avais besoin pour le moment à Paris et demander l'Ecole de Rome pour demander l'Ecole de Rome, même si qui ne tente rien n'a rien, me paraissait manquer un peu de sens. 

Je ne m'y suis donc mise que vers la mi-septembre, mais j'avoue que, plus je cherchais des motivations pour justifier ce séjour d'un mois, plus je trouvais que ce n'était pas une idée aussi absurde que cela : j'ai énormément à apprendre, de l'archéologie et de l'architecture, sur les modes de pensée romains, ce que j'ai sous la main à Paris ne peut compenser ce qui se trouve à Rome et mon guide archéologique de Coarelli ne m'apporte qu'une connaissance relativement livresque de la topographie de la Ville. 

Après avoir envoyé ma demande de bourse, je continuais à réfléchir et à me dire qu'il faudrait vraiment faire au moins une recherche sur les statues représentant les empereurs, pour voir si les portraits que je trouve dans les textes correspondent au "véritable" physique, à la perspective de la propagande ou à une opposition avec la manière dont un autre empereur était représenté (plus j'avance et plus je découvre des jeux d'échos, de rapprochements et d'oppositions). Je me disais aussi que, les questions d'ordre et de désordre étant particulièrement importantes dans les Histoires, il était de plus important de voir comment l'ordre était également mis en scène dans le marbre romain.

De cela j'avais un peu parlé dans ma lettre de motivation, mais de manière manifestement trop vague et pas assez claire. Ce que je retiens de la manière donc ils ont expliqué leur refus, c'est que mon projet est apparu uniquement littéraire - ce qu'il est, en un sens - et la confrontation directe avec les realia immotivée. En soi, ils n'ont pas tort : il existe des encyclopédies et des ouvrages recensant, par exemple, toutes les représentations d'empereurs, des livres tout à fait spécialisés sur l'architecture romaine, etc. Etant donné que j'habite Paris et que j'ai à disposition la BNF et l'ENS, je peux y avoir accès. Je peux aussi éventuellement redéfinir mon projet et ne pas traiter ces dimensions, même si elles sont très intéressantes, quand quelqu'un qui travaille sur l'architecture sous Trajan, lui, ne le peut pas, tout comme il ne peut pas n'avoir jamais vu de sa vie la villa d'Hadrien. De mon point de vue, moi non plus, mais en ces temps de disette, il faut choisir et, entre lui et moi, c'est bien sûr lui qui en a le plus besoin. 

Au final, je ne suis, tout compte fait, pas si abattue que ça. Ma première réaction a été "Ah les salauds ! pourquoi Bidule et pas moi ?!" ; puis j'ai essayé de prendre un peu de recul et je me suis dit qu'effectivement, il fallait que j'épluche les Annales et les Vies correspondantes, qu'après avoir fait ça j'aurais quelque chose de plus consistant pour mesurer mon besoin d'accès aux realia, que, de toute façon, ça ne remettait pas en cause mon sujet de thèse, qu'au pire je leur montrerai qu'ils avaient tort et que je pouvais faire quelque chose de tout à fait intéressant en m'appuyant sur du matériel archéologique. Ça ne m'empêchera pas de retourner à Rome, même si ce ne sera pas dans les mêmes conditions matérielles et financières (Chéri a encore un an à l'Accademia Santa Cecilia : à un séminaire par mois, ça fait autant d'occasions de squatter, surtout au second semestre, puisque je suis semestrialisée). Et, oui, je vais lire religieusement et attentivement le guide de Coarelli et des ouvrages d'architecture et des livres sur le zeitgeist du Ier/IIème siècle après J.C.

Je me retrouve donc à faire exactement ce que j'aurais fait si ma demande avait été acceptée : je bosse, en continuant sur ma lancée, peut-être même avec plus d'énergie que si j'avais reçu une réponse positive.

Je suis un âne qui a besoin, périodiquement, d'un coup de pied au cul pour réveiller son ego. Ça tombe bien, ce n'est ni le premier, ni le dernier refus que je vais essuyer dans ma vie en général et dans ma carrière en particulier.

Heel

Ça tire, ça fait mal, mais au final ça fait du bien (photo par quinn.anya ; source : FlickR)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire