dimanche 20 mars 2011

Odyssey Dawn

L'intervention militaire en Libye, entamée hier 19 mars par les forces françaises, britanniques et (surtout) américaines, porte plusieurs noms. Comme le précise un article de la Wikipédia anglophone (thank ye, fellow Wikipedians), l'opération a été baptisée "Opération Harmattan" côté français, "Operation Ellamy" côté britannique, "Operation MOBILE" côté canadien, et "Operation Odyssey Dawn" (traduit par "Aube de l'Odyssée"), côté américain. Ces divers noms, surtout "Harmattan" et "Aube de l'Odyssée", circulent déjà beaucoup sur Internet. Le nom d'Odyssey Dawn revient très fréquemment, ce qui peut s'expliquer par le fait que, malgré la mise en avant du rôle de la France, ce sont les Américains qui tiennent les commandes (article dans "Le Point").

Nous sommes d'accord : les noms des opérations militaires, ce n'est pas vraiment le plus important pour le moment. On pourrait aisément lister des dizaines d'enjeux stratégiques, politiques, diplomatiques, économiques et idéologiques beaucoup plus cruciaux. Dans un contexte pareil, s'arrêter sur la question des noms peut paraître futile en comparaison de l'actualité brûlante des événements qu'ils désignent.

Mais enfin, tout de même. Pourquoi Odyssey Dawn ?
Plus précisément, et en toute mauvaise humeur : pourquoi me faire ça à moi ?
Pourquoi récupérer le nom de l'Odyssée, un des chefs-d'œuvres de la poésie antique, et l'un de mes préférés, en plus, pour venir en affubler une opération qui, certes, est supposée venir en aide à un peuple tyrannisé par un dictateur depuis des années, mais qui reste tout de même de nature militaire, c'est-à-dire qui relève par essence, du moins pour moi, du "sale boulot", bien éloigné des odyssées quelles qu'elles soient ?

Assez de naïveté feinte : nous avons bien entendu affaire à de la rhétorique militaire. Et il est intéressant de voir les choix effectués par les différentes armées pour nommer leurs opérations.
Il se trouve que la plupart, au moins dans le cas présent, sont beaucoup moins fleuris. J'ignore si "Opération MOBILE", le nom canadien, est un acronyme quelconque (ce n'est pas sûr), et je n'ai pas la moindre idée de l'origine du nom "Ellamy" choisi par les Britanniques. En France, l'opération "Harmattan" tire son nom d'un vent d'Afrique qui, jusque là, avait surtout donné son nom à une maison d'édition (désolé, réflexe de littéraire), et qui, à lire Wikipédia, souffle du Sahara vers le golfe de Guinée ; le Sahara s'étendant entre autres en Libye, le nom n'est pas complètement sans rapport avec le sujet. Bon. On pourrait facilement ironiser sur la logique présidant à ce choix, qui assimile la venue d'avions militaires à une sorte de doux phénomène météorologique (il est vrai qu'un nom plus costaud, comme "tornade" ou "tsunami", aurait été du plus mauvais goût par les temps qui courent...). Mais enfin, ça reste à peu près soft.


Vous avez aimé l'Odyssée ? Ça n'a rien à voir.

"Odyssey Dawn", par contre, c'est d'un kitsch absolu. D'où peut bien venir un tel sobriquet ? Pas du nom d'un modèle d'avion ou de char américain, du moins pas que je sache (merci Wikipédia, encore ; désolé, je n'ai pas de meilleure référence sur le sujet à portée de la main). Et certainement pas d'un possible rapport avec l'intrigue de l'Odyssée d'Homère. Autant on aurait pu comprendre une référence à l'Iliade, autant l'Odyssée, cela paraît stupide. Car au cas où vous ne le sauriez pas, l'Odyssée n'est pas une épopée guerrière. C'est d'abord une épopée de la survie : Ulysse et ses marins doivent, pour rentrer chez eux à Ithaque, affronter des êtres si monstrueux ou si puissants qu'il est impossible de les vaincre par la force (d'où les fameuses ruses d'Ulysse, contre le Cyclope par exemple). L'épopée se conclut certes par un combat au cours duquel Ulysse massacre les prétendants qui courtisaient son épouse Pénélope, mais il s'agit d'un règlement de compte privé, certainement pas d'une guerre, et tout cela est bien loin de l'actualité politique.
On chercherait avec tout aussi peu de succès un quelconque rapport entre les réalités historiques évoquées par l'Odyssée et la région d'Afrique où se trouve l'actuelle Libye. Non que l'Afrique n'ait pas sa place dans la littérature et plus généralement la mythologie grecques : au contraire, on pourrait en parler longuement et citer de nombreux (et beaux) épisodes à ce sujet. Mais dans le cas de l'Odyssée, je sèche. Tout au plus pourrait-on penser aux tentatives, remontant à l'Antiquité et longtemps reprises par les modernes, pour faire correspondre des lieux réels aux différentes étapes merveilleuses du voyage d'Ulysse. L'endroit plus proche, dans cette optique, serait le pays des Lotophages, qui était parfois identifié avec l'actuelle Tripolitaine et parfois avec le sud de l'actuelle Tunisie (je vous épargne les multiples tentatives antiques et modernes pour identifier le fameux lotos, le fruit qui provoque l'oubli, avec toutes sortes de plantes réelles). Non seulement de telles identifications sont très contestables sur le plan des études mythologiques, et doivent être prises avec distance, mais, quand bien même ce serait bien dans cet élément qu'il faudrait situer l'allusion, le nom n'en paraîtrait pas moins absurde. Je ne pense pas que les pilotes de l'armée de l'air américaine soient partis chez Kadhafi pour manger des fleurs.

Un nom d'opération militaire aux connotations épiques et pacifiques

Alors, pourquoi "Odyssey Dawn" ? Encore un coup, j'ai joué au naïf en tentant de trouver une allusion littéraire précise dans le nom d'une opération militaire. Il est à peu près certain que ce n'est pas à cela que nous avons affaire ici, mais à une référence beaucoup plus vague, et cependant tout aussi réfléchie : une connotation. Il y a tout lieu de penser que, dans l'esprit de la ou des personnes qui ont décidé de ce nom, il s'agissait de présenter l'opération sous un jour acceptable, voire positif, à la fois aux militaires mêmes qui allaient être chargés de la réaliser, aux Américains qui en seraient les témoins, et accessoirement au reste du monde. Bref, ce nom fait pleinement partie de la stratégie américaine, de sa communication à grande échelle (sinon, il n'aurait pas circulé si vite et si largement).

Et les connotations que ce nom a été chargé de porter sont parfaitement bien choisies. D'abord parce qu'au delà de l'Odyssée, ce nom met en place une référence générique : une référence à l'épopée, un genre littéraire qui se caractérise par le fait qu'il présente un univers aux réalités nobles, embellies et grandies par rapport à la réalité que nous avons sous les yeux. Voilà une excellente première raison pour se référer à une telle œuvre : présenter l'opération militaire sous un jour noble, exaltant, exciting, pour employer un mot anglais courant.
Quant au choix de l'Odyssée plutôt que de l'Iliade, il est en réalité beaucoup moins stupide qu'il n'en a l'air. Pour qui a un peu étudié la postérité des deux épopées d'Homère et leur devenir dans l'imaginaire collectif (en particulier occidental), il est frappant de constater que, d'un côté, l'Iliade, qui pour le coup est à l'origine une épopée pleinement guerrière, est devenue puis restée une référence littéraire majeure lorsque l'on souhaite penser la guerre, notamment sous l'angle de sa gestion politique et idéologique... tandis que l'Odyssée, en revanche, porte l'image d'un univers pacifique. Ulysse est devenu au fil du temps la figure du voyageur par excellence, l'homme qui part à la découverte du monde et des peuples étrangers, le voyageur humaniste avant l'heure qui n'a pas peur de se frotter à l'autre, cet autre dût-il se révéler inhumain et hostile, comme le Cyclope ou les Lestrygons. Le voyage est certes périlleux, mais le voyageur n'est jamais l'agresseur et le voyage n'est pas une conquête, mais une exploration.
L'épopée est si bien passée dans la langue que le nom "odyssée" est devenu un nom commun pour désigner un voyage. Un nom commun, certes, mais encore chargé de toutes sortes de connotations positives héritées à la fois du genre de l'épopée et du contenu de la mythologie : une odyssée n'est pas un banal trajet, mais un "voyage rempli d'aventures extraordinaires" (pour citer la définition du Grand Robert).

Peu importe ici qu'il faille traduire "Odyssey Dawn" par "Aube de l'Odyssée", en référence à celle d'Homère, ou par "Aube d'une odyssée", avec emploi du nom commun (l'expression anglaise ne permet pas de faire la différence entre les deux emplois). Le résultat en termes de connotations est le même : une opération militaire se voit présentée au public sous un nom volontairement choisi pour ses connotations positives et pacifiques. Le tout avec une référence au moins potentielle à l'une des œuvres poétiques qui forment les fondements de la culture occidentale, donc une référence qui peut être très largement comprise (que l'on ait lu l'Odyssée ou non) : utile lorsque ladite opération doit prendre en charge sur le plan logistique les interventions de nombreux pays coalisés.
Bref, en termes de choix de communication (autrement dit, de rhétorique militaire) et de maniement des symboles, l'armée américaine s'y connaît visiblement très bien.

Du bon usage des héritages culturels

"Quelle est donc cette Iliade qu'on nous fait prendre pour une Odyssée ?" serez-vous tentés de vous exclamer à la lecture de ce message. Mais c'est encore, à mon avis, une mauvaise façon de poser la question. Le fait est qu'en entendant pour la première fois mentionner le mot "Odyssée" à propos d'une opération militaire, je me suis senti on ne peut plus mal à l'aise.
Pour comprendre pourquoi, il faut se souvenir - et garder salutairement à l'esprit - que les œuvres littéraires antiques, de même d'ailleurs que les événements historiques antiques, sont aujourd'hui encore porteurs d'un lourd passif idéologique. Ce sont des références chargées d'histoire ; tant qu'on les manie dans un esprit pacifique, elles sont simplement chargées de culture, d'une culture passionnante ; mais lorsqu'on les manie dans un but agressif, elles peuvent facilement devenir chargées d'histoire comme un revolver est chargé.
Il faut savoir que la guerre de Troie, cet affrontement qui, chez Homère, oppose des Achéens et des Troyens qui parlent la même langue, partagent la même culture et révèrent les mêmes dieux, a été récupérée par les Grecs, à partir des guerres médiques qui les ont opposés aux Perses, et repensée en termes d'affrontement entre Europe et Asie, Grecs contre barbares, présentés comme radicalement différents et destinés à s'opposer. Il faut se souvenir des forts enjeux nationalistes dont est encore aujourd'hui chargée la référence à l'antique en Grèce, en Turquie et en Macédoine. Il faut se rappeler que de nos jours, un péplum peut servir à critiquer implicitement la politique hégémonique de George W. Bush (Troie de Wolfgang Petersen - critique assez gentillette, je vous l'accorde), à véhiculer des convictions assez nauséabondes (le comic 300 de Frank Miller, auteur dont les positions sur le rôle de l'Amérique dans le monde et sur le choc des civilisations sont sans équivoque), ou à réfléchir sur le fanatisme religieux quel qu'il soit (Agora d'Alejandro Amenábar).
Bref, une référence à l'Antiquité n'est pas toujours motivée par un pur besoin de s'instruire ou d'instruire les autres : c'est aussi un instrument puissant pour véhiculer des idéologies, voire réécrire l'Histoire, surtout quand ceux qui écoutent ne se sont pas donnés la peine de l'apprendre ou n'ont pas l'idée d'aller vérifier.

C'est pourquoi, quel que soit le bien-fondé des opérations militaires actuelles, je ne peux m'empêcher de regarder avec inquiétude le déploiement d'une telle rhétorique militaire. Une opération militaire n'est pas une odyssée, ni une épopée, et elle n'a rien d'exaltant. C'est une... opération militaire. Certes, il y a lieu d'espérer qu'une telle rhétorique reste sans effet sur une bonne partie de son public... mais peut-on en être sûr ? Elle opère au niveau des connotations, de l'implicite, de la séduction graduelle. Et tout le monde n'est pas également armé pour la désamorcer comme il faut (si je peux me permettre ces métaphores).
Tant qu'à faire de donner dans l'idéologique, pourquoi ne pas avoir baptisé l'opération "Liberté en Libye" ou quelque chose du genre ? Aurait-ce été trop explicite ? Aurait-ce été trop fade ? Quoi qu'il en soit, je saurai gré aux militaires d'éviter de vendre de l'épopée aux foules lorsqu'il n'arrivera jamais que des faits, de simples faits, avec des destructions et des morts. Ceux qui n'ont jamais étudié les épopées s'y tromperont peut-être ; mais nous, antiquisants, non.

samedi 12 mars 2011

"Electre" au Théâtre du Lierre

Electre, d’après Sophocle (Vème s. avt JC) et Hofmannsthal (1904)
Mise en scène de Pascal Larue
Traduction et adaptation : Eleonora Rossi
Création 2009 au théâtre de Chaoué (Allones) par la compagnie Théâtre de l’Enfumeraie
Au Théâtre du Lierre, Paris XIIIème, du 2 au 6 mars 2011

L’Electre présentée par Pascal Larue est de ces mises en scène qui refusent de rapprocher l’univers tragique grec du public actuel en le transposant dans le monde contemporain, et privilégient au contraire le maintien d’un écart où se lit l’étrangeté d’un genre ancien doté de ses codes singuliers et d’une dimension sacrée. Bien en phase avec la ligne artistique du Théâtre du Lierre qui reçoit la troupe de l’Enfumeraie, et en accord avec les notes de mise en scène de Hofmannsthal qui refusait lui aussi toute adaptation moderne comme toute reconstitution à l’antique, P. Larue a choisi de faire évoluer ses personnages dans un décor japonisant. Les trois murs de scène sont ainsi longés par trois pontons, tandis qu’au fond se dresse le palais-pagode des rois de Mycènes dont la façade semi-transparente diffuse, plus ou moins intensément au cours de la pièce, cette lumière « rouge comme le sang » qui était l’un des éléments structurants de la mise en scène envisagée par l’auteur autrichien.

Si l’adaptation proposée est sans doute plus fidèle à la pièce d’Hofmannsthal qu’à celle de Sophocle (dont disparaissent en particulier le prologue, le fameux récit de la pseudo-mort d’Oreste aux jeux pythiques, et la ruse déployée autour de la fausse urne funéraire supposée contenir les cendres du héros), elle conserve cependant le chœur, pilier du genre tragique grec. Grâce à un véritable travail chorégraphique et vocal, la mise en scène est ainsi en mesure de restituer pleinement la dimension collective, à la fois sociale et rituelle de la tragédie grecque, ainsi que de la rendre à sa dimension de spectacle total. C’est d’ailleurs sur l’entrée du chœur en une procession rituelle qui répète les funérailles d’Agamemnon, ce moment fondateur où le temps s’est arrêté, que s’ouvre la pièce. Revêtus de longues robes colorées (japonisantes également), et de demi-masques, les choreutes déposent en chantant, dans une jarre-tombeau, le masque funéraire du roi, inspiré du fameux masque d’Agamemnon de Mycènes, puis se livrent à une danse sacrée accompagnée de chants proférés dans une langue étrange (le japonais ?), et rythmés par la musique d’un violoncelle joué sur scène.

Lorsque le chant choral s’interrompt, c’est la mélopée d’Electre qui lui succède, des paroles terribles répétées en boucle sur l’air innocent d’une comptine enfantine : « mon papa est mort, il est raide mort / y’en a plus que deux qui tueront leur mère / y’en a plus que deux qui sont vigoureux ». Electre, dans sa tunique courte d’Artémis chasseresse, avec son regard hagard et ses traits sauvages, est à la fois l’éternelle vierge de Sophocle figée à l’âge de jeune fille, dans le temps du deuil et l’attente de la revanche, et la névrosée post freudienne de Hofmannsthal, morte-vivante mue par son obsession vengeresse,  une pulsion de mort destructrice et auto-destructrice. Comme le chœur, son allié naturel, Electre danse (c’est là aussi un trait emprunté à Hofmannsthal), mais d’une danse endiablée, de possédée. Performance quasi-magique qui invoque le surgissement de la vengeance, envoûtante et terrifiante prestation, la danse d’Electre, à la fin, se fait célébration de la vengeance accomplie, gestuelle de plus en plus désarticulée et spasmodique, agonie dansée à laquelle l’héroïne, vidée des forces vitales qui ne faisaient qu’un avec sa haine désormais assouvie, succombe. Danse de la mort, la danse d’Electre est astucieusement contrebalancée, dans cette mise en scène, par une danse de Chrysothémis, sa sœur, qui incarne au contraire la pulsion de vie et les forces de l’érôs. Gracieuses évolutions, que celles de Chrysothémis, toutes en petits pas mesurés et en mouvements ondulants des bras : traduction chorégraphique de l’harmonie classique grecque que le long péplos immaculé de jeune fille incarne également face à la démesure tragique et inhumaine de sa sœur.

A ce premier ensemble constitué par Electre, Chrysothémis et le chœur,  s’oppose un second, formé par Clytemnestre et ses femmes. L’une des plus grandes réussites de cette mise en scène est en effet sans doute d’avoir récupéré le groupe des servantes hostiles à Electre introduit par Hofmannsthal dans la première scène de sa pièce, pour en faire une sorte de chœur secondaire, contrepoint du chœur tragique de Sophocle allié à l’héroïne. Le « chœur » des servantes (d’ailleurs joué, sans les masques, par les mêmes actrices qui composaient le chœur principal) ne chante pas, ne danse pas : il raille, médit, et glousse. Bien plus –et c’est là qu’intervient le génie du metteur en scène-, ce second chœur, littéralement, fait corps avec Clytemnestre. Lorsque les portes du palais s’ouvrent pour laisser apparaître, juchée sur son trône, la reine, figée, raidie dans la gaine de sa robe noire incrustée de pierres magiques et de talismans, celle-ci se trouve entourée de ses servantes qui l’assistent dans chacun de ses mouvements. Peu à peu, leurs bras l’enserrent, leurs bouches se mettent à accompagner les paroles de la reine, jusqu’à la métamorphoser en une sorte de monstre féminin, de déesse hindoue à la fois terrifiante et grotesque. Une fois portée par ses servantes dans l’espace de jeu central où elle fait face à sa fille, Clytemnestre redevient la névrotique-hystérique d’Hofmannsthal, semi-paralytique terrorisée par ses angoisses nocturnes et sa mauvaise conscience, appuyée sur son sceptre paré de grigris- un personnage dont les intonations haut perchées et artificielles, ici, font un être passablement ridicule, auquel le public ne ménage pas ses éclats de rire.

Le personnage d’Oreste, dont le retour cristallise l’angoisse ou l’espérance des autres personnages, n’a pas non plus été négligé par l’inventivité créatrice de cette mise en scène. Le héros, qui n’apparaît, comme chez Hofmannsthal, que pour une brève scène de reconnaissance avec sa sœur avant le meurtre, est représenté sous la forme d’une marionnette humaine masquée, mue par les baguettes de « marionnettistes » qui l’entourent. Ses gestes, mécaniques et stylisés, sont accompagnés de la voix d’une actrice, agenouillée au fond de la scène, qui récite son rôle. Ce recours à l’art traditionnel des marionnettes asiatiques, en harmonie avec la scénographie de la pièce, permet de rendre très astucieusement le caractère « à part » du personnage d’Oreste. Un personnage mu par le dieu Apollon chez Sophocle, par une volonté indéfectible chez Hofmannsthal, un personnage sans passions à mille lieues des souffrances et rancœurs de sa sœur, une simple force agissante qui n’entre en scène que pour remplir sa mission. Un personnage quasi épique qui surgit pour accomplir une vengeance qui ne fait pas problème, un meurtre « sans restes » (Florence Dupont) qui ne laisse derrière lui ni remords ni règlement judiciaire. Or, c’est justement sur ce point que l’adaptation proposée par P. Larue et E. Rossi, peut, dans son dénouement, porter à controverse. A l’habile tissage des textes de Sophocle et Hofmannsthal, cette nouvelle adaptation ajoute en effet, à la toute fin, une conclusion inspirée des Euménides d’Eschyle, et prononcée (toujours à travers la voix de l’actrice qui le double) par Oreste. Certes, une telle conclusion ajoute une dimension étiologique et judiciaire à l’histoire d’un meurtre qui, chez le poète grec comme chez le dramaturge autrichien était close sur elle-même, la vengeance, dans les deux cas, étant à elle-même sa propre fin. Avant d’en conclure trop vite au contresens, il faut cependant tenir compte du fait qu’un tel dénouement est tout à fait cohérent avec la logique interne de la mise en scène, et en particulier avec sa représentation d’Oreste comme héros surgi de la tradition, ordonnateur, et, en un certain sens, civilisateur. Au moment où Electre, représentante de la force des passions féminines incontrôlables, git sous les yeux du public,  désormais hors-jeu, s’établit un ordre nouveau, patriarcal, stable et rationnel. 

Au sortir de cette représentation  remarquable par  l’ingénieuse combinaison qu’il a su faire de deux textes, de deux lectures du mythe, de deux univers culturels, de deux esthétiques théâtrales distants de plus de 23 siècles, ainsi que par une créativité scénique incroyablement féconde, une inquiétude vient cependant ternir le plaisir du spectacle. Le Théâtre du Lierre, dont la compagnie, dirigée par Farid Paya (également directeur du théâtre) concentre ses recherches depuis des années sur le théâtre antique, va fermer ses portes début juillet, et aucune solution à ce jour n’a été proposée pour le reloger. Espérons que sa troupe, ainsi que les compagnies, comme celle de l’Enfumeraie, que Le Lierre avait coutume d’accueillir, retrouveront bien vite un nouvel espace d’expression pour continuer à proposer un théâtre antique exigeant et inventif, tel qu’il fait souvent cruellement défaut sur les grandes scènes parisiennes...


Sorayya

Nouvelle rubrique !

Oyez, oyez, braves gens ! J'ai encore réussi à débaucher une collègue ! Les articles sur les pièces de théâtre ayant l'air d'intéresser pas mal de gens, après Eunostos le mythologue, spécialiste des articles fouillés et originaux, voici Sorayya, LA spécialiste de théâtre antique ! 

Elle va très régulièrement au théâtre et me transmettra ses articles lorsqu'elle aura le temps (c'est comme pour nous : thèse oblige) et en essayant de le faire suffisamment tôt pour que vous ayez les infos avant que les représentations ne soient finies. 

Ceci dit, ce blog est aussi un espace de partage, alors vous avez vu ces pièces, vous voulez aller les voir, vous les avez vues dans une autre mise en scène, dites-nous ce que vous en pensez en commentaire !

Son premier message est ici.

jeudi 10 mars 2011

Cours de l'extrême

Après un cours abrutie par la fièvre et une crève carabinée, notre héroïne de l'extrême décida de profiter du relatif décloisement de ses fosses nasales pour honorer une promesse et passer la soirée à Montmartre, dans le but de ruiner le beau temps revenu (vous avez vu les nuages aujourd'hui ? c'est moi. De rien, ne me remerciez pas). 

Oui, mais, ce qu'elle n'avait pas prévu, c'est qu'elle serait quasiment aphone le lendemain, jour où elle devait faire cours. Catastrophe. Elle l'avait bien cherché, mais c'était une catastrophe quand même. 

(Eclair pendant un orage à Besançon le 8 juin 2008 ; photo par Gilles Pretet ; source : Wikipedia Commons)



Après une matinée de silence absolu (ce qui est difficile : c'est dingue tous les commentaires que je peux faire en lisant du latin), je me suis retrouvée avec une voix d'ado en train de muer. Je vous laisse imaginer la tête de mes étudiants.

Il a donc fallu que je faisse un cours de grammaire latine plus ou moins en langage des signes. Ce qui a donné ça : 

\o/  => « Bonjour ! »
o//  => « Aujourd'hui, nous allons travailler sur Tibulle et les sorcières !»
/o\  => « Mais, tout de suite, interro sur le cours précédent ! »

< o > => (sifflement ; un quart d'heure de repos pour ma voix)

\o/  \\o  o// => (ceci est un développement sur la morphologie du futur et l'importance des voyelles finales pour déterminer le temps d'un verbe)

/o\  \o  o/ o>  (ceci est un développement sur l'ordre et la défense)

(o) \o/ (o) o// \\o \o/ => (ceci est un développement sur les tournures de type "nec... quisquam")

Ce fut sportif, donc. 

Depuis, j'ai toujours une voix d'ado en pleine mue (ou de grosse fumeuse, ce qui est ironique, pour quelqu'un qui n'a jamais fumé une cigarette), à présent entrecoupée de quintes de toux terribles, mais, au moins, j'ai fait cours.

mardi 8 mars 2011

Néron a-t-il vraiment mis le feu à Rome ?

Avec ce qui se passe en ce moment en Libye et ailleurs (mais surtout en Libye), je sens venir gros comme une maison les comparaisons entre Khadafi et l'ami Néron (nan, c'est pas vraiment mon ami, mais, disons que depuis deux ans s'est instaurée une sorte de familiarité entre nous ; je continue à penser d'ailleurs que ce serait un excellent nom de chat, mais ma mère a mis son véto pour le nouveau, alors que "Freud" les enthousiasmait tous ; bref : je suis une incomprise). Il me semble même avoir déjà lu des allusions je ne sais plus trop où ; dommage que Bayrou soit extrêmement silencieux en ce moment (à moins que tout le monde ne se foute royalement de ce qu'il a à dire),  sinon, c'est sûr, on n'y aurait pas coupé

Pourquoi un parallèle avec Néron ? Ben, parce que c'est le gars qui a foutu le feu à la Ville, bien sûr, et qui en a profité pour chanter devant les flammes la chute et le sac de Troie (version encore pire : il aurait fait mettre le feu pour chanter la chute de Troie - ah, ces artistes ! qu'est-ce qu'ils ne feraient pas pour trouver l'inspiration !) ! 

Oui, mais a-t-il vraiment mis le feu à Rome ?

Suétone, nuancé comme à son habitude, répond : « Sir, yes, sir ! C'est lui qui a fait le coup ! »

Nam quasi offensus deformitate ueterum aedificorum et angustiis flexurisque uicorum, incendit urbem tam palam, ut plerique consulares cubicularios eius cum stuppa taedaque in praediis suis deprehensos non attingerint et quaedam horrea circa domum Auream, quorum spatium maxime desiderabat, bellicis machinis labefacta atque inflammata sint, quod saxeo muro constructa erant. (...) Hoc incendium e turre Maecenatiana prospectans laetusque "flammae", ut aiebat, "pulchritudine", Halosin Ilii in illo suo scaenico habitu decantauit.

"En effet (Néron vient de souhaiter qu'une grande catastrophe se produise de son vivant), sous prétexte qu'il était offensé par la laideur des vieux édifices et l'étroitesse et la sinuosité des rues, il fit mettre le feu à la ville si ouvertement que beaucoup d'anciens consuls ne touchèrent pas à ses valets de chambre, qu'ils avaient pris dans leurs propriétés avec de l'étoupe et des torches, et que certains greniers à blé aux alentours de la Maison dorée, dont il convoitait extrêmement le terrain, furent détruits et incendiés avec des machines de guerre, parce qu'ils avaient été construits avec des murs en pierres. (...) Comme il contemplait cet incendie depuis la tour de Mécène et qu'il était en joie, comme il disait, "à cause de la beauté des flammes", il se mit à chanter la Prise de Troie dans son propre costume de scène." (Suétone, Vie de Néron 38.3 et 6)

Comme vous pouvez le voir, on a toute la scène : le dingue qui décide que l'architecture de la ville ne lui plaît pas et qu'il faut donc remédier à tout ça, les sbires pleins d'ardeur (s'attaquer à des greniers à grain avec des machines de guerre, même si leurs murs sont en pierres, il faut le faire !) et absolument sans complexes, les sénateurs n'osant rien faire par peur que cela ne leur retombe salement sur le museau et préférant donc perdre leur maison plutôt que la vie et, surtout, surtout, surtout, la fameuse scène de la déclamation devant les flammes.




Rhââââââââ...! Je ne me lasse pas de ce film !

Bref, tout serait formidable dans le pire des mondes (je vous rappelle que formidabilis, en latin, signifie "redoutable",  formido signifiant la peur), si mon Vieux Grincheux Préféré, j'ai nommé : Tacite (non, Suétone n'a pas encore de surnom ; en revanche, si ça vous intéresse, depuis mon master 1, Pline le Jeune est, pour moi, définitivement "la Punaise" : essayez de lire son Panégyrique de Trajan et vous comprendrez) n'élevait pas une voix quelque peu discordante. Car Tacite, même s'il n'est pas particulièrement favorable à Néron (litote), est quand même nettement moins affirmatif.

Sequitur clades, forte an dolo principis incertum - nam utrumque auctores prodidere -, sed  omnibus quae huic Vrbi per uiolentiam ignium acciderunt grauior atque atrocior. (...) Nec quisquam defendere audebat, crebris multorum minis restinguere prohibentium, et quia alii palam faces iaciebant atque esse sibi auctorem uociferabantur, siue ut raptus licentius exercerent, seu iussu. (...) Quae, quamquam popularia, in inritum cadebant, quia peruerserat rumor, ipso tempore flagrantis Vrbis, inisse eum domesticam scaenam et cecinisse Troianum excidium, praesentia mala uetustis cladibus adsimulantem.

"Ensuite eut lieu une catastrophe, arrivée par hasard ou à cause de la fourberie du prince, on ne le sait pas - car des auteurs ont transmis les deux versions -, mais qui fut plus grave et plus atroce que toutes celles qui arrivèrent à cette ville à cause de la violence des incendies. (...). Et personne n'osait combattre le feu, à cause des nombreuses menaces de ceux qui interdisaient de l'éteindre et parce que d'autres jetaient ouvertement des torches et hurlaient qu'ils avaient des répondants, soit pour se livrer au pillage avec plus de licence, soit parce qu'ils avaient des ordres. (...) Ces mesures (prises par Néron pour remédier aux dommages causés), bien que visant le peuple, manquèrent leur effet, car s'était répandue la rumeur que, au moment même où la Ville était la proie des flammes, il s'était rendu dans son théâtre privé et avait chanté la ruine de Troie, comparant les maux présents aux catastrophes d'autrefois." (Tacite, Annales XV 38.1 et 7, puis 39.3)

Si vous avez lu mon petit topo sur la mort de Germanicus, vous savez combien j'adoooore les marques de modalisation de type "on dit que", "on raconte que", "il paraît que" : c'est mon dada. Là, avec Tacite, je suis ravie : d'abord, il annonce qu'on a deux versions pour la responsabilité de l'incendie (le hasard ou cette saleté de Néron), puis continue de prendre des gants avec les fameux sbires (après tout, ils disent ce qu'ils veulent, ça ne signifie pas nécessairement ni qu'ils sont au service de Néron, ni qu'ils ont effectivement reçu l'ordre de tout brûler), enfin relègue la fameuse scène de la déclamation effarante dans la catégorie "rumeur", rumeur qui, contrairement à Suétone, ne l'intéresse pas en tant que telle, mais en raison de ses effets (c'est sûr, ce n'est pas évident de convaincre son peuple qu'on n'y est pour rien, si lui est convaincu qu'en plus vous en avez profité pour bien vous poiler ; mieux vaut trouver un bouc émissaire, c'est plus efficace : ah bah tiens, justement, on a les chrétiens sous la main !).

Evidemment, c'est la version de Suétone que tout le monde a retenue, d'abord parce que Tacite a totalement disparu pendant le Moyen-Age (on ne le redécouvre qu'au XVème siècle), ensuite parce qu'elle est quand même beaucoup plus fun (autre possibilité : les scénaristes hollywoodiens et autres sont infoutus de lire du latin un peu retors : regardez la série "Rome", c'est du copier-coller mal fait de Suétone) : c'est vrai quoi, ces gens sérieux, ils sont barbants, à prendre des pincettes comme ça...

Et finalement, quelle est l'opinion des historiens modernes ? Il est assez peu probable que Néron ait vraiment mis le feu à Rome, d'autant qu'il n'en avait pas besoin : les conditions de sécurité et d'hygiène y étaient tellement déplorables et la surpopulation et l'étroitesse des rues telles qu'elle flambait toute seule très régulièrement sans avoir besoin qu'on l'aide, hélas. Par contre, ce qui est probable, c'est que, précisément afin d'en profiter pour mettre en peu d'ordre dans tout cela, il ne se soit pas beaucoup dépêché de la faire éteindre. Et comme il avait des conceptions architecturales assez nouvelles (ce qui est toujours assez risqué quand on dirige un peuple archi conservateur : cf. ce qui est arrivé à Akhénaton après sa mort), le refus public des nouvelles constructions s'est changé en "il l'a fait exprès pour pouvoir reconstruire". Quand au coup de la déclamation, ce genre de perfidies largement diffusées étaient très courantes dans l'Antiquité (on fait acte d'opposition comme on peut, qu'est-ce que vous voulez).

François, tu veux ajouter quelque chose ?

samedi 5 mars 2011

Le bonus du week-end

Ça fait environ une demi-heure que je suis en train de me poiler sur ça : Dictionnaire du jeune chercheur en sciences humaines. Savourez-le et bon week-end !

Petite chronologie de mon samedi

7h30 : Se lever comme un jour de semaine le samedi matin, ça pue du boudin.

9h : Bordel, à force de comater, je vais être en retard !

9h24 : C'est la moment de faire mon best temps ever pour la remontée Censier-Daubenton-Rue d'Ulm.

9h27 : Nom d'un kangourou, on dirait que je vais y arriver ! 

9h29 : Yes ! je suis en train d'y... Oh my God ! mon ancien directeur ! gloups ! Espérons qu'il ne m'en veut plus... De toute façon, je ne pourrai pas le fuir toute ma carrière, il faudra bien faire quelque chose un jour.

9h30 : arrivée pile pour le début du colloque. 

9h45 : arrivée de mon ancien directeur (de l'intérêt de prendre directement l'escalier au lieu d'attendre l'ascenseur). Bonjour de chaque côté, aussi manifestement respectueux que possible et un peu gêné de ma part, un peu pincé de l'autre côté...

11h : pause. Je descends parler avec mon directeur actuel, vu qu'il m'a demandé de venir pour aider à mettre en place le repas de midi. Mon ancien directeur traverse l'allée de sièges dans ma direction. Doute : est-ce qu'il vient me parler ? De toute façon, je suis déjà descendue trop bas. J'espère qu'il ne venait pas me voir pour prendre des nouvelles, sinon je vais passer pour la méprisante et la malpolie de service... Il faut absolument que j'essaie de me rattraper à midi.

11h15 : je m'éclipse avec la femme de mon directeur actuel afin d'aller acheter de la nourriture en plus pour le repas : Chef lui avait dit de commander pour une vingtaine de personnes, on est nettement plus proches de la trentaine. 

11h30 : il faut qu'elle soit de retour à 12:30 pour le traiteur. Je propose d'aller au Franprix qui est à dix minutes de là, rue Monge.

11h45 : bordel, j'avais oublié que c'était dix minutes pour quelqu'un à la marche de croisière de dingue comme moi... 

12h20 : ça s'est fini par elle partant devant et moi suivant avec les bouteilles (n'y voyez aucune allusion : à ce moment-là, on n'avait même pas encore de tire-bouchon !).

12h25 : inspection du département. Zut ! il y a un colloque toute la journée dans la salle qu'on comptait utiliser ! Tant pis, on s'installera dans le hall.

12h32 : la femme de mon directeur est allée attendre le traiteur devant la porte. Je vois arriver un homme portant des cartons. Dix secondes d'hésitation. « Vous êtes là pour le colloque ? - Oui, mais je crains que ce ne soit pas pour le même... Nous comptions manger ici. - Mince ! nous aussi ! Vous êtes combien ? - Une trentaine. - Bon, on est moins nombreux, on va manger dehors : il fait froid, mais beau et la cour est abritée du vent. »

12h40 : le traiteur n'est toujours là.

12h50 : après coup de fil, il s'avère que le traiteur est en fait passé à 11h et a tout largué à la loge.

12h52 : récupération des victuailles. Heureusement que les colloques prennent toujours d'incroyables retards...!

13h30 : bon, qu'est-ils font ? En plus, ça embaume la nourriture, maintenant, et mon estomac crie famine.

13h45 : les participants de l'autre colloque reviennent dans leur salle. On aurait presque pu leur laisser la place et alterner, finalement. 

14h : avec 1h30 de retard, voici les nôtres. Mon ancien directeur n'est pas là.

14h30 : ils retournent travailler. Il n'y a plus rien à manger, je n'ai pas eu le temps d'avaler un morceau et j'ai fini en leur faisant des sandwichs au pâté. Je profite qu'ils s'en aillent pour m'en faire un rapidement.

14h45 : après avoir fini de tout ranger, la femme de mon directeur propose qu'on se fasse un sandwich au pâté, maintenant qu'on peut manger. J'accepte. On goûte le vin rouge, que j'ai choisi au pif (nom d'un bled du Midi pas loin de chez moi). Bilan : il est franchement dégueulasse ; voilà donc pourquoi ils se sont tous jetés sur le blanc...

15h : la femme de mon directeur propose de finir le pâté. Je ne suis un peu bleurp, mais j'accepte, histoire que ça leur fasse un truc lourd de moins à remporter. Chef, qui erre à la recherche d'une photocopieuse parce que quelqu'un n'a pas eu le temps de préparer ses exempliers, nous prête main forte. 

15h30 : de retour dans l'amphi. Cette fois, je suis tout à fait bleurp. Mon ancien directeur n'est pas revenu : j'ai donc bel et bien raté une occasion d'essayer de normaliser les choses.

16h15 : la digestion s'ajoute au manque de sommeil : j'ai de plus en plus de mal à suivre ce que dit l'intervenant.

17h : pause. Merci mon Dieu, c'est le moment de rappeler à mes neurones qu'il n'est pas 23h.

17h30 : reprise pour le sprint final. Je m'échappe et marche dans le froid jusqu'à Austerlitz, histoire de faire passer mes trois sandwichs au pâté. 

18h15 : rentrée chez moi. Thé. Joie. Livre III des Histoires de Tacite toujours pas fini : ce ne sera pas pour aujourd'hui.


Et vous, vous avez fait quoi de votre samedi...?

mercredi 2 mars 2011

Don't worry, be happy !

Je dois reconnaître que les étudiants m'épatent souvent, surtout depuis que je n'en fais (presque) plus partie (la question préliminaire étant : en ai-je vraiment fait (pleinement) partie ?).

Aujourd'hui, fin de cours. Je lève le camp rapidement pour que ma collègue et son groupe puissent s'installer dans la salle (c'est quand on se retrouve à poireauter de très longues minutes dans le couloir parce que la collègue du cours précédent prend son temps, alors qu'on est soi-même très short niveau timing (oui, je sais, plutôt que de mettre des mots anglais en italiques, je ferais mieux d'utiliser des mots français), qu'on comprend toute l'importance du fait de finir à l'heure - ça et, quand on a été étudiant, quand on est tombé sur un prof qui débordait plus ou moins systématiquement d'une demi-heure), réponds rapidement dans le couloir à la question d'une étudiante et vois, tout au fond, une fille que j'avais au premier semestre s'avancer nonchalamment. Arrivée à mon niveau, elle me salue et me demande si je peux lui remplir l'attestation d'assiduité pour sa bourse ; aucun problème : je dégaine mon stylo.

« C'est votre camarade, qui vous a dit que je fais cours ici à cette heure-là ?
- Non, non. C'est juste que j'essaie de retrouver mes profs du premier semestre et là, vous voyez, je suis en retard, alors, comme je vous vois dans le couloir, j'en profite. »

Je n'ai pas très bien vu la relation entre le fait d'être en retard et celui d'en profiter pour me chopper dans le couloir, mais chapeau : à sa place, j'aurais été dans les Affres de la Date-Limite (qui, pour autant que je sache, est déjà dépassée depuis belle lurette), bien loin de sa tranquillité sereine. 

Finalement, je devrais peut-être me calmer pour le retard de ma thèse, qui, somme toute, n'a pour le moment qu'un peu plus d'un semestre d' "existence"...

(photo prise à Dallas, Reunion District, par jczart ; source : FlickR)